Un collectif d’associations a racheté en décembre 2019 le parc de Pont-Scorff afin d’en relâcher les pensionnaires dans la nature. Un an plus tard, le projet continue à susciter des interrogations.
De l’autre côté de la paroi en Plexiglas, elles se figent comme prises en faute. Finalement, les deux tortues géantes des Seychelles reprennent leur lymphatique marche dans l’enclos du parc animalier de Pont-Scorff, dans le Morbihan.
« Qu’est-ce que ces tortues font ici, en Bretagne ? Vous pensez sincèrement que nos conditions climatiques leur conviennent ? », s’agace Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France et vice-présidente de l’organisation Rewild. « Nous devrions bientôt réussir à les renvoyer chez elles », précise le gérant du site, Jérôme Pensu. Les Seychelles ont accepté leur retour et la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bretagne vient de valider l’opération.
Pour Rewild, la perspective d’un départ de ces tortues pour leur milieu d’origine a un goût de victoire. Cette coalition réunit l’ONG de défense des océans Sea Shepherd, le centre de sauvegarde Athénas et Jérôme Pensu, fondateur du Biome, un projet de station d’élevage et de conservation dans les Landes qui n’a finalement pas vu le jour.
En décembre 2019, ce collectif a acquis 70 % de la société exploitant le zoo de Pont-Scorff grâce à une campagne de financement participatif. L’appel aux dons reposait sur une promesse : le rachat servirait à« libérer »les 560 pensionnaires pour les renvoyer dans leur milieu d’origine, transformer le lieu en centre d’accueil pour des animaux issus des trafics et « réensauvager le monde ».
Soutenue par le journaliste militant Hugo Clément et le fondateur de Sea Shepherd Paul Watson, l’initiative a permis de collecter en quelques jours plus de 700 000 euros. Dans un contexte où la question du bien-être animal s’impose comme une préoccupation de plus en plus forte, l’objectif de Rewild a séduit plus de 23 000 donateurs.
Il fait cependant bondir les acteurs des zoos et de la conservation, qui y voient une promesse intenable. Le collectif dénonce, de son côté, un « acharnement » des autorités à l’égard d’un projet qui dérange « le lobby de la captivité ».
Talkie-walkie en main, Jérôme Pensu file à travers les allées désormais vides du parc, qui accueillait jusqu’à 220 000 personnes par an. Il a été fermé au public pour empêcher toute exploitation commerciale des animaux.
Chaque enclos est un motif de colère. Le panda roux, là ? Il était en grande souffrance psychologique car détenu entre les panthères du désert et les loups d’Europe, deux prédateurs. L’aigle royal, ici, vivait dans une cage qui lui permettait à peine de déployer ses ailes. « Avec Pont-Scorff, nous pouvons montrer les coulisses d’un zoo, se satisfait Jérôme Pensu.Les défenseurs de l’industrie de la captivité se réfugient derrière des arguments pédagogiques, de préservation des espèces ou de réintroduction pour entretenir leur business. Mais pour eux, l’animal n’est qu’un objet pour générer du profit. »
De fait, Rewild a racheté un zoo vétuste. En mai 2019, l’association française des parcs zoologiques (AFdPZ), dont il faisait partie, l’a sommé d’effectuer des chantiers de mise en conformité évalués à plusieurs millions d’euros, avant de l’exclure en février 2020.
Mise en conformité
Déjà régulièrement contrôlé par la Direction départementale de la protection des populations avant son rachat, le parc a depuis fait l’objet de trois inspections des services vétérinaires en 2020. L’Office français de la biodiversité a en outre procédé à une saisie d’animaux dans l’année. En septembre, le préfet du Morbihan, Patrice Faure, a signé une mise en demeure pour réclamer notamment la réalisation de travaux sur les réseaux d’eaux usées et pointer l’insuffisance du nombre de certificats de capacité détenus par les permanents pour couvrir l’intégralité des espèces conservées.
« Rewild a acheté le parc en son âme et conscience, explique Patrice Faure. Quand vous reprenez une entreprise, vous achetez ses dettes, ses compétences et vous ne pouvez pas nier son passif. Nous espérions que l’arrivée de cette organisation capable de lever des fonds importants permettrait une mise en conformité rapide. Nous allons finalement lui laisser le temps de proposer un plan d’action. »
Dans leur bureau, Lamya Essemlali et Jérôme Pensu reconnaissent la précarité des installations pointées dans leur audit interne. Ils dénoncent cependant les critiques des services de l’Etat rédigées « pour salir », comme cette remarque sur les 2,4 tonnes de cadavres collectées par l’équarrisseur depuis leur arrivée. Un chiffre largement commenté qui a laissé croire à une surmortalité des animaux, et que Rewild justifie par l’évacuation de viande déjà présente dans les réfrigérateurs ainsi que par la mort de vieillesse de bêtes volumineuses.
« Depuis cette histoire, j’ai arrêté d’aller sur les réseaux sociaux, s’agace Chloé Boillet, soigneuse à Pont-Scorff depuis 2017. La vérité, c’est que les bêtes vont mieux. » Elle raconte comment les phoques ont retrouvé leur pelage depuis qu’ils ne nagent plus dans une eau chlorée. Elle montre ces perroquets qui volent désormais à l’air libre toute la journée – contrairement à ce qui se fait d’ordinaire dans les parcs animaliers – et reviennent d’eux-mêmes manger et dormir dans leur enclos. Le vétérinaire Yann Favennec, qui officie dans un cabinet local et reconnaît avoir accepté avec méfiance la collaboration avec Rewild, confirme une « amélioration » du bien-être animal et salue le travail d’une équipe « compétente ».
Un an après le rachat du zoo, aucun animal n’a en revanche encore pu être « rendu à la vie sauvage ». Sergio Lopez, le président de l’association Wildlife Angel, spécialisée dans la protection de la faune sauvage africaine, a été présenté à l’origine comme l’un des membres fondateurs de Rewild. Il assure pourtant n’avoir découvert le projet de remise en liberté des animaux de Pont-Scorff qu’au lancement de la campagne de communication. « On ne pouvait pas être associé à un tel projet : la quasi-totalité des animaux de ce zoo ne sont pas relâchables,estime-t-il. On n’aurait plus été crédibles auprès de nos partenaires. »
Un engagement irréaliste
Pour Wildlife Angel comme pour l’AFdPZ, l’Association européenne des aquariums et zoos ou encore la Ligue pour la protection des oiseaux, Rewild repose sur un engagement irréaliste. « Aucun acteur de la conservation ne peut soutenir un tel projet qui n’a aucun fondement sanitaire ou scientifique », insiste Julie Lasne, une éthologue qui a participé au groupe de travail sur la faune captive fondé par le ministère de la transition écologique.
Tous soulignent la complexité des réintroductions, ces opérations visant à relâcher des animaux dans leur aire de répartition originelle. Pour une partie des individus ayant passé leur existence en captivité, le retour à la vie sauvage serait quasiment impossible. Les prédateurs, par exemple, n’ont jamais appris à chasser. Il faut aussi pouvoir trouver un territoire assurant un habitat adapté, suffisamment vaste et exempt de menaces, éviter tout risque d’introduction d’éléments pathogènes…
Les zoos participent à de telles opérations dans le cadre de programmes scientifiquesinternationaux. Deux femelles gorilles nées à Beauval, dans le Loir-et-Cher, ont par exemple été réintroduites il y a un an dans l’ouest du Gabon, d’où cette espèce en danger critique d’extinction avait disparu.« Cela a coûté au moins 100 000 euros en frais de logistique et ça a pris des années, détaille Rodolphe Delord, le directeur général de Beauval et président de l’AFdPZ. Et malgré toutes les précautions, l’une des deux femelles est morte six mois après des suites d’une blessure. » Les sanctuaires, qui n’offrent pas toujours des conditions de bien-être optimales, manquent aussi de places.
Surtout, là où Rewild affirme vouloir relâcher ses tortues, girafes ou éléphants pour des motifs de bien-être, les parcs zoologiques affichent des objectifs en termes de conservation. Selon les lignes directrices de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), les réintroductions doivent viser « à produire un avantage mesurable pour la conservation au niveau d’une population, d’une espèce ou d’un écosystème, et non seulement profiter aux spécimens transférés ».
La « méthode Rewild » agace
Autant de remarques que Jérôme Pensu balaie de la main. Seuls les animaux trop vieux, hybridés ou consanguins de Pont-Scorff resteront derrière les barreaux. Tous les autres pourront retrouver leur milieu naturel, maintient-il.
A quel rythme ? Avec quels financements ? Rewild met en avant l’action du Centre Athénas qui affirme avoir relâché plus de 17 000 oiseaux et mammifères ces trente dernières années, « soit bien plus que l’ensemble des zoos européens ». Mais si le travail de ce centre est salué, il consiste principalement à recueillir la faune sauvage locale lorsqu’elle est blessée, puis à la relâcher dans son milieu naturel, dans le Jura et les départements alentour. Une mission difficile à comparer avec la réintroduction à l’étranger d’animaux en grande majorité nés en captivité.
Derrière son ordinateur à Pont-Scorff, Karine Demure, l’une des quinze salariées de Rewild, échange avec des soigneurs étrangers pour structurer le programme de réintroductions et contacte des sanctuaires. « Le gouvernement des Seychelles a facilement accepté notre demande parce que les tortues font partie du patrimoine de l’archipel, explique-t-elle. C’est plus complexe pour des espèces comme le porc-épic, qui intéressent moins, ou pour de grands prédateurs. »
Au-delà du projet, la « méthode Rewild » agace. A l’image du volcanique Jérôme Pensu, le collectif multiplie les charges sur les réseaux sociaux à l’encontre de ses détracteurs et dénigre l’action de structures engagées depuis des années dans la protection animale.
« Pourquoi veulent-ils à tout prix se différencier des autres ? s’interroge Sophie Fernandes-Petitot, du zoo-refuge La Tanière, en Eure-et-Loir. Ils devraient plutôt nous rejoindre pour faire de la pédagogie sur le fait qu’il ne faut jamais prélever d’animaux dans la nature ni acheter des individus issus des trafics, qu’il faut cesser la reproduction en captivité d’espèces non menacées… »
Rassurer les donateurs
Dans un certain nombre de cas, les échanges vont se poursuivre dans les tribunaux. Jean Tamalet, qui défend gracieusement le collectif, a promis de « déployer un bouclier »autour de Rewild pour « qu’on lui laisse sa chance ». Une quinzaine de procédures ont été lancées à l’encontre d’anciens propriétaires du zoo, du directeur de la direction départementale de la protection des populations ou encore d’un journaliste. Pour l’avocat de Rewild, associé au sein du cabinet King & Spalding, représentant actuellement de Carlos Ghosn, l’ex-PDG de Renault-Nissan, l’important est de rassurer les donateurs et particulièrement les mécènes importants tels Marc Simoncini, fondateur de Meetic, sur lesquels repose la viabilité économique du projet.
L’ancien propriétaire du zoo, Sauveur Ferrara, un pédopsychiatre à la tête de dizaines d’entreprises, « séduit » par l’initiative, a donné cinq ans à Rewild pour régler les 600 000 euros nécessaires au rachat. La cagnotte initiale a pu être utilisée pour la gestion du parc, qui coûte près de 80 000 euros par mois. Le don conséquent d’un mécène étranger a récemment offert quelques semaines de visibilité à l’organisation, qui annonce travailler à la mise en place d’une école de soigneurs animaliers, d’un restaurant, d’un parcours d’accrobranche, d’une librairie, d’un espace de conférence et d’exposition… La création d’un parc animalier virtuel serait aussi en réflexion.
Alors que l’interdiction progressive des animaux sauvages dans les cirques itinérants et des orques et dauphins dans les delphinariums a été annoncée, Rewild suscite un débat légitime sur l’avenir de la captivité dans les zoos et leur évolution. Reste à l’organisation à prouver qu’elle peut tenir ses promesses.