Si plusieurs groupes d’ours polaires déclinent à cause des conséquences du changement climatique, ce n’est pas le cas de tous. Certains scientifiques en déduisent qu’il vaudrait peut-être mieux trouver un autre emblème. Pourtant, une nouvelle étude établit le lien entre cette menace et la survie de l’espèce.
L’Union internationale pour la protection de la nature (UICN) l’avait déjà clairement formulé en 2015 : « la réévaluation globale des ours polaires met en évidence la perte de l’habitat de la glace de mer due au réchauffement climatique comme étant la menace la plus importante pour la survie à long terme de l’espèce » (communiqué de presse, novembre 2015).
En effet, l’ours polaire se sert de la glace de mer comme d’une plateforme pour chasser les phoques. Une nouvelle étude publiée dans la revue Science et relayée par CNN le 1er septembre a désormais établi pour la première fois un lien entre les émissions individuelles de gaz à effet de serre d’origine humaine et les taux de reproduction et de survie des ours polaires.
19 sous-populations d’ours polaires
Malgré ces travaux récents, certaines voix – dont un récent article du Guardian s’est fait l’écho – s’élèvent parmi la communauté scientifique, clamant qu’il faudrait cesser de considérer Ursus maritimus comme le symbole des effets du changement climatique sur la biodiversité. Pour quelle raison ?
Si trois sous-populations (sur les dix-neuf que compte l’espèce) présentent un déclin sur le long terme en raison du changement climatique, ce n’est pas le cas de toutes. De quoi créer, estiment ces chercheurs, une incompréhension vis-à-vis de peuples autochtones qui, dans leur région respective, verraient les plantigrades se multiplier.
« Dans le contexte canadien, le fait que l’ours polaire soit un symbole du changement climatique a causé beaucoup de problèmes », explique à nos confrères britanniques le professeur Andrew Derocher, spécialiste des ours polaires à l’université de l’Alberta (Canada).
« Nous avions l’habitude d’entretenir de bonnes relations avec les chasseurs inuits. Beaucoup de ceux que je connais pensent que les ours polaires se porteront bien avec le changement climatique, ce qui a créé des tensions notoires. »
Qu’en est-il, en réalité ? « Il est plus facile de raconter au public des histoires simples : la glace de mer fond et la situation des ours polaires empire. Mais la biologie et l’écologie sont très complexes », confie au Guardian le professeur Jon Aars, qui dirige les recherches sur les ours polaires à l’Institut polaire norvégien de Svalbard depuis 2003.
Des ours polaires qui s’adaptent – jusqu’à un certain point ?
Au Svalbard, archipel norvégien situé dans la mer de Barents, alors que les températures ont augmenté de 4 °C en moyenne au cours des 50 dernières années et qu’une grande partie de la glace de mer a disparu, les quelque 300 ours polaires qui y vivent n’ont – jusqu’ici – pas connu de déclin significatif. « Cela pourrait s’expliquer par le fait que les mammifères se remettent encore des pressions exercées par la chasse, qui a été interdite en Norvège en 1973 », précisent nos confrères.
Autre point d’explication, les ours de cette sous-population-ci s’adapteraient à la fonte de la glace de mer en changeant de pratiques de chasse, ciblant les rennes en plus des phoques – un comportement qui a été documenté pour la première fois sur l’archipel en 2020.
La nouvelle sous-population d’ours polaires découverte en 2022 au Groenland semblerait elle aussi s’être adaptée à sa manière en s’appuyant sur des morceaux de glace se détachant des glaciers d’eau douce de la région.
Toutefois, même pour ces groupes particuliers d’ours polaires, la situation est loin d’être idyllique, et les experts n’excluent d’ailleurs pas un déclin de leur effectif à l’avenir.
Bien que le débat sur les espèces à choisir pour sensibiliser le grand public reste ouvert, le groupe d’experts international sur la biodiversité (IPBES), lui, a en tout cas confirmé que le changement climatique comptait parmi les cinq grandes menaces sur la biodiversité – aux côtés des changements dans l’utilisation des terres et des mers (y compris la déforestation), de l’exploitation directe des espèces (notamment la pêche), des espèces exotiques envahissantes et de la pollution.
Source GEO