Le changement climatique et les enjeux associés de limitation du réchauffement climatique et d’adaptation des activités humaines ne sont pas indépendants de la crise que connaît la biodiversité. Comme le précisent le GIEC et l’IPBES dans leur rapport commun, les crises climatiques et de perte de la biodiversité sont étroitement liées et se renforcent mutuellement ; aucune des deux ne pourra être résolue avec succès si les deux ne sont pas abordées ensemble[1].
Du fait de l’invasion de l’Ukraine, la Communauté européenne entre dans une crise énergétique sans précédent qui amène la Commission européenne à promouvoir une accélération des investissements dans le développement des énergies renouvelables (EnR), dans l’efficacité énergétique et dans l’économie circulaire afin de soutenir l’indépendance énergétique des Etats membres et de progresser dans l’élimination progressive des combustibles fossiles.
Nous saluons cet effort, mais alertons également sur l’importance à prendre en compte l’importance stratégique de la biodiversité, ne pas la considérer qu’en termes de contraintes.
Les atteintes à la biodiversité qui pourraient résulter de l’application de certaines mesures contre-productives proposées par la Commission européenne dans son plan REPowerEU sont un manque criant de vision stratégique. Il en va ainsi, par exemple, de la désignation par les États membres de zones destinées à accueillir des EnR et dans lesquelles les projets seraient exemptés d’études d’impacts environnementales et d’enquêtes publiques et, parallèlement, de la volonté de réduire les surfaces protégées qui sont des réservoirs de biodiversité, de protection de ses potentialités, à un minimum qui semble dénoter une absence de vision stratégique.
L’État de droit et la législation environnementale ne constituent pas un obstacle à la transition énergétique, mais bien au contraire témoignent d’une vision de ce qu’il importe de préserver, notre bien commun, pour faire face aux difficultés à venir. L’UE a passé cinq décennies à créer un ensemble de protections environnementales et sanitaires permettant à l’Europe d’être une région en avance dans la préservation de ses écosystèmes, donc de sa sécurité géopolitique. L’État de droit en est le garant. Le respecter est essentiel. Le plan énergétique doit aussi s’appuyer et ne pas s’opposer à l’engagement des citoyens, qui est un élément clé des processus de protection de la biodiversité comme de la transition énergétique.
Il est profondément surprenant que l’affaiblissement des protections des écosystèmes et de leurs potentialités soit proposé dans le plan REPowerEU alors que les obstacles au déploiement des énergies renouvelables, les difficultés majeures, se situent ailleurs, et surtout que la biodiversité participe à l’adaptation au changement climatique. La législation environnementale existante doit continuer à s’appliquer pleinement et dans tous les secteurs, notamment les directives cadres européennes « Habitats faune flore », « Oiseaux », et des outils tels que les sites « Natura 2000 ». Les évaluations environnementales projet par projet constituent des garde-fous importants. Ce sont des estimations dont la valeur est stratégique, et elles ne doivent pas être perçues comme des freins au développement des ENR. La préservation des sites présentant des enjeux de biodiversité doit perdurer.
Nous sommes profondément préoccupés par la proposition européenne révisée qui pose le principe selon lequel les énergies renouvelables répondront de manière systématique à une raison impérative d’intérêt public majeur s’il n’est pas accompagné de considérations concernant l’intérêt public de la préservation de la biodiversité. Cet automatisme, combiné à l’exemption générale pour les projets d’énergies renouvelables des évaluations des incidences sur l’environnement (EIE) dans les zones délimitées comme étant préférentielles, risque de saper les acquis stratégiques de l’UE en matière de sauvegarde de la biodiversité et de faciliter la déréglementation. L’accélération du déploiement des EnR ne doit pas se faire au prix d’une remise en cause de l’acquis environnemental existant, au risque de perdre le soutien du public, générer l’incompréhension dans une opposition inutile entre transition énergétique et protection de la biodiversité.
Les signataires s’inquiètent des tentatives en Europe d’affaiblir directives et outils en faveur de la biodiversité. Ils s’inquiètent à raison des conséquences d’une stratégie qui ne tient que marginalement compte des défis que pose la sauvegarde de la biodiversité. Les signataires voient aussi dans la philosophie du texte de la Commission une vision réductrice qui ne parvient pas à intégrer l’importance stratégique de la biodiversité.
Les choses ne sont pas gravées dans le marbre, le projet européen doit encore passer par plusieurs étapes politiques et peut encore être amendé.
Les signataires veulent être rassurés et aussi assurés que l’État français, au travers des personnalités qui prendront en charge les politiques énergétiques et écologiques dans les prochaines semaines, analysera finement la stratégie de l’Europe et, si nécessaire, la modifiera au bénéfice de la protection, de la sauvegarde et de l’avenir de la biodiversité, donc de l’Europe.
L’annonce de la création au sein du gouvernement français d’un ministère chargé de l’Énergie, alors que le ministère de la Transition écologique était précédemment en charge des dossiers de la Transition énergétique et de l’Énergie, risque d’aller à contre-courant du besoin impératif de traiter les enjeux climat et biodiversité au même niveau de priorité et de dégager des solutions au défi climatique qui ne nuisent pas à la biodiversité. Face à ce nouveau ministère et au puissant ministère de l’Agriculture, ne faut-il pas un ministère chargé de l’Écologie où la protection et la valorisation de la biodiversité seraient un enjeu central, comme poids politique et comme levier d’action tant au niveau national qu’européen ?
Le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité sont deux crises planétaires interdépendantes qu’il est impératif de traiter simultanément. On ne réussira pas la transition énergétique en Europe en négligeant l’importance stratégique de la biodiversité, et notamment du potentiel écologique considérable des espaces encore peu anthropisés.
• Christian Arthur, président de la Société française d’étude et de protection des mammifères (SFEPM)
• Denis Couvet, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)
• Allain Bougrain Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)
• Bernard Chevassus au Louis, président d’Humanité et biodiversité
• Rémi Luglia, président de la Société nationale de protection de la nature (SNPN)
• Christine Rollard, présidente de l’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE)
• Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement (FNE)
• Jean-François Silvain, président du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel Grand-Est (ancien président de la FRB)