Grâce notamment à une nouvelle abstention de la France, l’Union Européenne va prolonger jusque 2033 l’autorisation du désherbant le plus vendu au monde, au mépris du principe de précaution et des conséquences sanitaires et écologiques.
Lors d’un premier vote le 13 octobre dernier, la majorité requise pour adopter ou rejeter la proposition de la Commission Européenne relative au renouvellement pour 10 ans du glyphosate n’avait pas été atteinte. Un second vote a donc eu lieu ce 16 novembre en comité d’appel à l’issue duquel aucune majorité ne s’est dégagée entre les 27 Etats membres. La France s’est chaque fois abstenue, le Ministre de l’Agriculture Marc Fesneau considérant que l’interdiction totale n’est pas possible, faute d’alternatives.
Il revient désormais à la Commission de valider seule sa propre proposition avant le 15 décembre, date d’expiration de l’autorisation du glyphosate, ce qui ne laisse aucun doute sur l’adoption prochaine de la prolongation demandée.
Le glyphosate est un herbicide non sélectif pulvérisé chaque année sur des millions d’hectares de cultures. Depuis sa première commercialisation en 1974, cette molécule de synthèse a accompagné le développement de l’agriculture intensive, en favorisant les productions à moindre coût sur des surfaces gigantesques. La prolongation de 10 ans envisagée pour son autorisation se base sur un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui n’a pas identifié de domaine de préoccupation critique concernant l’impact du glyphosate sur la santé et l’environnement, tout en reconnaissant des lacunes dans les données analysées qui concernent notamment les effets délétères potentiels sur les écosystèmes naturels.
Le déversement continu de quantités massives de cette substance bioactive dans l’environnement est susceptible d’entraîner de profonds bouleversements écologiques à long terme. Par ailleurs, la plupart des études d’impact ne portent que sur le glyphosate seul, alors qu’il est toujours utilisé avec des additifs dont certains ont une toxicité avérée. En mai 2023, une étude du CNRS alertait sur la responsabilité des pesticides la disparition des oiseaux des champs en Europe, qui ont perdu 60 % de leurs effectifs en à peine quarante ans.
Les effets du glyphosate sur la santé humaine font également l’objet de controverses scientifiques et d’un important lobbying de l’industrie agrochimique depuis que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) l’a classé « probablement cancérogène » en 2015, appuyé par une expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en 2021. Le média Vakita vient de révéler qu’un rapport étudiant les effets du glyphosate sur la santé humaine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) avait disparu dans d’étranges conditions en 2016. En mars 2022, un lien de causalité a été établi entre l’exposition prénatale au glyphosate d’une femme enceinte et les malformations congénitales de son fils né en 2007.
Peu de temps après son élection en 2017, le Président Emmanuel Macron avait pourtant annoncé son interdiction dans un délai de 3 ans, avant de faire marche arrière sous la pression des syndicats agricoles. Le glyphosate a été finalement banni en 2019 pour les collectivités et les particuliers, mais demeure largement utilisé par l’agriculture, dont les réglementations sont essentiellement fixées à l’échelle européenne. Un récent sondage indique que plus de 70% des Français sont favorables à une interdiction totale.
Pour Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO : « L’appréciation rocambolesque du glyphosate n’est pas acceptable. Le temps est venu du devoir de précaution. Cette prolongation est symptomatique de l’incapacité politique à réformer nos modes de production alimentaires afin de restaurer nos paysages, renforcer la résilience de l’environnement face au réchauffement climatique et stopper l’effondrement de la biodiversité. Il est vital de réconcilier la nature et l’agriculture. Et donc d’interdire les pesticides ! »