« Nous sommes ici pour montrer notre soutien aux négociateurs qui travaillent si dur pour établir un cadre global de protection de la biodiversité ». Cette phrase, lancée lundi 12 décembre lors d’une table ronde à la COP15 biodiversité de Montréal (Canada), n’a pas été prononcée par le représentant d’une ONG environnementale. Non, ce discours, c’est celui de Kathrina Mannion, vice-présidente en charge de l’environnement chez BP, une entreprise plus connue pour l’explosion en 2010 de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon – qualifiée à l’époque de « plus grande catastrophe environnementale de l’histoire des Etats-Unis » – que pour sa défense de la nature. Le pétrole, son cœur de métier, est une des énergies fossiles responsables du réchauffement climatique, l’une des cinq causes majeures de la disparition de la biodiversité.
Kathrina Mannion s’exprimait dans le cadre du Business and Biodiversity Forum (en anglais), organisé pendant deux jours dans l’enceinte du Palais des congrès de Montréal, où la communauté internationale est réunie jusqu’au 19 décembre pour tenter d’enrayer la disparition des animaux, des plantes et des milieux naturels en raison des activités humaines.
« Infiltrer le processus pour défendre leurs intérêts »
Ce forum, auquel participent notamment Ikea, TotalEnergies, LVMH, Kering ou la compagnie minière brésilienne Vale, est la manifestation la plus visible de la présence accrue des entreprises à cette COP. Moins médiatiques que leurs grandes sœurs climatiques, ces conventions dédiées à la biodiversité intéressaient jusqu’ici peu le monde des affaires. « Cette année, le secteur privé est bien présent pour la première fois. C’est du jamais vu », observe Juliette Landry, chercheuse à l’Iddri et spécialiste des négociations sur la biodiversité.
Une nouveauté qui inquiète l’ONG Les Amis de la Terre. Dans un rapport (PDF, en anglais)publié avant la COP, ils dénonçaient l’influence croissante des entreprises sur la Convention sur la diversité biologique, le traité international signé à Rio en 1992 et qui régit ces sommets. « Comment les contributeurs les plus importants à la disparition de la biodiversité, qui doivent payer des dividendes à leurs actionnaires, pourraient-ils promouvoir la transformation radicale dont nous avons besoin ? », feignent-ils de s’interroger dans leur communiqué de presse, en les accusant d’« infiltrer le processus pour être sûr que leurs intérêts sont défendus et qu’aucune solution n’impacte leurs revenus ».
Nele Marien, coordinatrice de l’ONG, dénonce une démarche qui relève du greenwashing. « Ils vous disent qu’ils vont faire de leur mieux dans des déclarations publiques, tout le monde applaudit et, ensuite, en petit comité, ils défendent l’autorégulation et rejettent la responsabilité sur le consommateur », regrette la militante belge. Elle relève que ces entreprises ne sont pas toujours présentes en leur nom propre et agissent via des organisations comme le World Business Council for Sustainable Development (Conseil mondial des entreprises pour le développement durable).
« Ce n’est pas du fake »
A la tribune du forum, les cadres invités ont de fait multiplié les déclarations de bonne volonté. Catherine Remy, vice-présidente environnement et social de TotalEnergies, a mis en avant les projets éoliens, solaires et de méthanisation de sa compagnie « multi-énergies ». « J’étais dans l’équipe de négociation britannique en 2010 au Japon. La raison pour laquelle j’étais là-bas est similaire à celle pour laquelle je viens aujourd’hui », a de son côté assuré Kathrina Mannion, avant de se féliciter du fait que le PDG de BP connaisse désormais le mot biodiversité.
« Nous ne pouvons jamais dire que le travail est terminé, nous devons mettre la barre plus haut », a pour sa part martelé Geraldine Vallejo, directrice du programme de développement durable au sein du groupe de luxe français Kering. « Les entreprises ont un rôle très important à jouer », a encore défendu Malu Paiva, vice-présidente développement durable pour la compagnie Vale.
Interrogée sur les critiques, Catherine Remy, dont l’entreprise était déjà présente à la précédente COP biodiversité, défend la sincérité de sa démarche. « J’ai l’impression de travailler pour l’entreprise la plus haïe en France. Mais je suis convaincue qu’on change le monde. Changer une compagnie comme la nôtre, se mettre à investir dans le renouvelable, ce n’est pas juste un chèque, c’est une transformation de l’intérieur. C’est un truc majeur, ce n’est pas du fake », argumente-t-elle.
Pourtant, les investissements dans les énergies renouvelables et l’électricité ne représentent actuellement que 25% de ce que TotalEnergies investit chaque année, selon les chiffres communiquées par l’entreprise cet été. Un nouveau projet pétrolier, le très controversé EACOP en Afrique, est dans les tuyaux, malgré les avertissements du Giec et de l’Agence internationale de l’énergie (PDF, en anglais) sur les conséquences pour le climat de tout nouveau projet d’extraction d’énergie fossile.
Un sujet « délicat » pour les scientifiques
Vale, notamment connue pour l’effondrement catastrophique d’un barrage en 2019, tient également un discours très diplomate. « Je comprends les critiques des ONG. Nous sommes aussi ici pour les écouter et pour échanger avec elles », assure Guilherme Oliveira, de l’institut technologique du groupe brésilien, avant d’affirmer : « Les faits parlent d’eux-mêmes. Nous avons protégé 800 000 hectares de forêt naturelle. Ça, c’est quelque chose de précis, de vérifiable ». « Le meilleur antidote au greenwashing est de s’ouvrir, d’être transparent », appuie sa collègue Leticia Guimaraes, spécialiste biodiversité au sein de la même compagnie.
La communauté scientifique observe avec circonspection cette effervescence. « C’est bien qu’ils soient présents, mais il ne faut pas qu’ils disent des choses contraires à la vérité scientifique », avertit Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’IPBES, l’équivalent du Giec pour la biodiversité. « Ce sujet est toujours délicat », estime également Philippe Grandcolas, écologue et observateur pour le CNRS de ce sommet. « Si on ne les implique pas, c’est difficile de les réguler. Il faut réussir à les impliquer, sans être dupes du fait que leur comportement n’est peut-être pas sincère ». Il appelle à la vigilance face aux conflits d’intérêts et à ne pas faire de ces acteurs des « experts » de la transition.