Autodidacte, l’homme qui vient d’être nommé à la tête de la nouvelle agence de reforestation est l’un des écologistes les plus respectés d’Afrique de l’Ouest.
« Sembe ! Sembe ! », le cri se perd dans le sillon poussiéreux de la voiture. Haïdar El Ali jette à peine un regard dans le rétroviseur où s’agite un jeune homme. En Casamance, région au sud du Sénégal, il a l’habitude que les populations l’appellent Sembe (« la force », en diola), que les enfants lui courent après et que les vieilles dames tirent leur révérence à « Adiakene Etame », « l’homme qui enrichit la terre ».
Qu’elle soit meuble, craquelée par l’harmattan, latérite rouge des pistes ou limon des mangroves, Haïdar El Ali aime plonger ses mains dans cette terre qu’il connaît mieux que quiconque. Plus d’un demi-siècle qu’il l’ensemence avec la passion d’un autodidacte qui a fait de lui l’un des écologistes les plus respectés d’Afrique de l’Ouest.
La mission qu’il s’est fixée : reboiser un pays dont la nature est victime de maux pluriels. Réchauffement climatique, trafic de bois, pollution atmosphérique, salinisation des sols, érosion côtière, surpêche et avancée du désert. Pour cela, il utilise tous les moyens, de la fronde à graines au largage aérien de semences.
Le Sénégal, sentinelle sahélienne bordée par le Sahara et l’Atlantique, est devenu en vingt ans un symbole de la violence de l’impact des hommes sur leur environnement. Chaque année, le pays perd 40 000 hectares de forêt, soit l’équivalent de 157 terrains de foot par jour, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). L’érosion côtière progresse de deux mètres par année et la mangrove a perdu 25 % de sa superficie depuis les années 1970.
Reboiser 300 hectares de mangrove par an
Au volant de son tout-terrain, Haïdar El Ali zigzague entre les nids-de-poule. Barbe blanche de trois jours, lunettes à écailles autour de deux billes noires rivées sur l’horizon, chapeau en cuir gondolé par le temps et sacoche d’aventurier en bandoulière, l’homme cultive un style éloigné des « bureaucrates » d’ONG « qui produisent des analyses mais pas de résultats ».
La route nationale s’engouffre dans une mangrove qui s’étend à perte de vue : « 65 000 pieds », précise-t-il, plantés en 2006 avec 200 jeunes d’un village voisin. C’était sa première expérience de reboisement à grande échelle : 60 % des plants ont tenu. Ce qui n’était qu’un marécage salé est devenu une forêt de palétuviers noirs (avicennia) et rouges (rhizophora) qui offre un refuge aux animaux et régule la salinité de l’eau, permettant aux rizières du delta d’être à nouveau fertiles. Depuis, il a multiplié les actions mettant la population à contribution pour planter 300 hectares de mangrove par an. « Cet été, on a eu des températures jamais atteintes, plus de 43 degrés, des centaines de plants sont morts », s’exaspère Haïdar….
Voir Le Monde du 1er janvier