La France doit répondre à une demande de Bruxelles de fermer temporairement des zones de pêche afin de limiter les accidents avec les cétacés dans l’Atlantique.
Les professionnels les considèrent comme des « prises accessoires » ; le commun des mortels voit plutôt comme un triste spectacle ces centaines de dauphins qui s’échouent chaque année sur le littoral français, victimes collatérales des engins des pêcheurs. Pour le gouvernement français, ils sont une source récurrente d’échanges problématiques avec la Commission européenne, et pour les associations de défense du monde marin, un casus belli sans fin.
Le dernier courrier en date de Bruxelles est parti le 4 octobre, en provenance de la direction générale des affaires maritimes et de la pêche (DG Mare). Il porte à nouveau sur les moyens de réduire ces accidents dans le golfe de Gascogne et le manque d’efforts de la part de Paris notamment pour y remédier. Le sort catastrophique des cétacés dans les eaux Atlantique françaises devrait exiger sans plus attendre des fermetures de certaines zones de pêche, comme le recommandent clairement les scientifiques. Tant que le ministère de la mer ne s’y résoudra pas, la situation ne s’améliorera pas. La Commission, indique la DG Mare, ne peut donc se satisfaire juridiquement des mesures proposées en octobre 2020 par un groupe formé par la France, l’Espagne, le Portugal et la Belgique. Ils ont jusqu’au 29 octobre pour revoir leur copie.
Pour Paris, le problème se concentre principalement dans le golfe de Gascogne où 93 % de l’effort de pêche sont le fait des navires français. Or les diagnostics des halieutes convergent : dans un avis du 26 mai 2020 qui a fait date, le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) affirme que les prises accessoires constituent effectivement la principale menace pour le dauphin commun dans l’Atlantique Nord-Est – une population estimée à 634 000 individus environ –, et préconise l’interdiction de certains secteurs à la pêche durant trois mois l’hiver et un mois l’été. Même la Commission baleinière internationale s’en mêle et demande que l’Union européenne et les Etats membres mettent en œuvre rapidement les mesures de fermetures temporelles suggérées par le CIEM, combinées le reste du temps à une utilisation d’émetteurs d’ultrasons répulsifs, les « pingers ».
Il y a urgence
Du côté des pêcheurs soutenus par le ministère de la mer, on met beaucoup en avant ces équipements. Mais la DG Mare fait remarquer qu’ils sont déjà utilisés par les chalutiers en France depuis 2019 et qu’ils n’ont « malheureusement pas encore conduit à des réductions substantielles des échouages sur les côtes atlantiques ». La directrice de la DG Mare, Charlina Vitcheva, salue les efforts « de collecte des données supplémentaires entrepris pour comprendre le problème des échouages », mais assure que « ce n’est pas suffisant à court terme ». Il manque des mesures d’atténuation nouvelles et concrètes. Or la Commission a déjà adressé une mise en demeure à Paris le 2 juillet 2020 pour son manque d’efficacité à sauver les dauphins communs – un animal strictement protégé en Europe et dans le droit français.
Il y a urgence car la saison fatidique approche. Même si depuis 2016, de plus en plus de cétacés morts sont désormais poussés sur les côtes en été, les accidents se produisent majoritairement en hiver sur la façade ouest, singulièrement entre les estuaires de la Loire et de la Gironde. Les littoraux de Vendée, de Charente-Maritime, mais aussi du Finistère, reçoivent le plus de carcasses. Comme il s’y est engagé, le gouvernement publie désormais les données sur ce phénomène en nette augmentation au cours de la dernière décennie. Du 1er décembre 2019 au 17 mars 2020, 1 073 carcasses de cétacés ont été recensées avant que la pandémie de Covid-19 n’interrompe le décompte. L’hiver suivant, 756 individus, majoritairement des dauphins communs, ont été trouvés. La saison 2018-2019 a connu un pic avec 1 123 cétacés échoués.
L’Observatoire Pelagis (CNRS-La Rochelle université), qui tient à jour les registres des échouages depuis les années 1970, indique à peu près les mêmes chiffres, mais donne des estimations supérieures du nombre de cétacés victimes d’accidents qui coulent directement au fond de l’océan. Les totaux seraient ainsi compris entre 8 000 et 11 000 individus par an, en fonction des conditions météorologiques. Les statistiques du gouvernement évoquent plutôt un total de 3 900 dauphins communs capturés dans le golfe de Gascogne l’hiver dernier.
Quelques engagements annoncés
Les observations et les autopsies réalisées par Pelagis indiquent que 85 % à 90 % des cétacés examinés présentaient des traces de mort à la fois internes et externes, liées à des engins de pêche. Pourtant les déclarations faites par les pêcheurs – comme la loi les y oblige – sont loin de refléter l’ampleur du problème. Entre le 1er décembre 2020 et le 30 avril 2021, les navires de plus de 12 mètres de long ont ainsi signalé 84 captures, les bateaux plus petits en ont indiqué 8. Les représentants de la profession continuent de pointer du doigt d’autres responsables potentiels : exploitation minière, pipelines sous-marins, transport maritime, tourisme et activités récréatives.
Dans l’entourage de leur ministre de tutelle, Annick Girardin, on assure que « la France répondra bien dans les temps » à la Commission, et qu’elle a « beaucoup investi dans l’obtention de nouvelles connaissances sur la population de dauphins de l’Atlantique Nord-Est ». Les résultats recueillis l’hiver dernier restent à analyser. La ministre de la mer semble donc vouloir s’en tenir aux quelques engagements annoncés cette année : rendre obligatoires les déclarations de tout accident de capture, publier les données et les partager avec l’Espagne et le Portugal, équiper tous les chalutiers de pingers, envoyer des observateurs à bord de certains navires, survoler le golfe de Gascogne, et tester des caméras embarquées sur… vingt navires volontaires.
Les associations environnementalistes sont bien déterminées à ne pas se contenter de ces quelques mesures. France nature environnement, l’un des fers de lance de cette longue croisade, a l’intention de déposer un recours devant le Conseil d’Etat d’ici à fin 2021.
Martine Valo
Le Monde