Les marsupiaux sont victimes de la destruction de leur habitat naturel. Il ne resterait plus qu’entre 46 000 et 90 000 spécimens à l’état sauvage.
C’est l’un des emblèmes de l’Australie, qui se tient, les yeux fermés sur son cerveau abîmé, entre deux branches d’eucalyptus dans un enclos de l’organisation caritative Port Stephens Koalas. Nommée SES Maree, femelle koala de 2 ans et demi, a été percutée par une voiture, victime comme tant d’autres de l’urbanisation. En moins de vingt ans, la destruction de l’habitat naturel de cette espèce endémique de l’île-continent a causé une hécatombe : 53 % des marsupiaux ont disparu dans le Queensland et 26 % en Nouvelle-Galles du Sud, les deux Etats de la côte est où vivent les principales populations.
Parce que « ce serait tellement dommage que l’avenir de cette icône nationale ne soit pas assuré », la première ministre de Nouvelle-Galles du Sud, Gladys Berejiklian, a présenté, le 7 mai, un programme d’aide de 45 millions de dollars australiens (28,4 millions d’euros) destiné, entre autres, à sanctuariser des milliers d’hectares de forêts, à soutenir la recherche, à introduire davantage de vaccins et à construire un hôpital dans les prochains mois.
« Les travaux devraient commencer ici avant la fin de l’année », se félicite Kate King, coordinatrice hospitalière pour l’organisation Port Stephens Koalas, en désignant un lopin de terre sur le site du parc de loisirs de One Mile, à 200 kilomètres au nord de Sydney. Le nouveau bâtiment fera face aux cinq enclos déjà bâtis par l’organisation pour héberger animaux blessés et malades en cours de traitement. Depuis plus de trente ans, sa petite armée de volontaires prend en charge, grâce aux dons, les marsupiaux signalés en détresse dans la région de la Port Stephens.
Série de maux en cascade
En 2017, elle en a recueilli 58 et sauvé plus de la moitié. Mais à défaut d’une structure adaptée, les koalas nécessitant des soins intensifs étaient d’abord accueillis à domicile par des bénévoles qui multipliaient les allers-retours chez des vétérinaires des environs. « Cet hôpital va nous permettre d’être plus efficaces, nous disposerons enfin d’un lieu doté des équipements médicaux nécessaires et d’un vétérinaire spécialisé à résidence », explique Kate King. Des scientifiques devraient également y séjourner régulièrement. En parallèle, un espace sera ouvert aux touristes afin de collecter des fonds et d’informer le public.
« Mais tous ces efforts seront vains si rien n’est fait pour arrêter la déforestation », insiste Carmel Northwood, présidente de Port Stephens Koalas. La destruction de l’habitat du marsupial provoque une série de maux en cascade. Chassés de leurs eucalyptus, les koalas errent au sol à la recherche de nouveaux arbres et se retrouvent à la merci des véhicules comme des prédateurs. Une simple morsure de chien peut provoquer, en quelques heures, une septicémie mortelle.
Dans les situations de stress, ces mammifères sont davantage susceptibles de développer les symptômes de la chlamydia, une maladie sexuellement transmissible causant cécité, stérilité et mort et qui s’est propagée à la faveur de la multiplication des contacts entre animaux, confinés dans des espaces toujours plus restreints. Aujourd’hui, près de la moitié d’entre eux en seraient porteurs.
« Une mascarade »
Dans le cadre de son programme de préservation, la première ministre de Nouvelle-Galles du Sud s’est engagée à protéger les forêts d’eucalyptus en transformant 25 000 hectares de terre en réserves naturelles. Mais les écologistes estiment que la plupart des zones choisies ne correspondent ni à « des habitats de grande qualité » ni aux principales régions de peuplement. « La sélection de ces zones est le résultat d’un exercice politique cynique », a notamment dénoncé Dailan Pugh, membre de la North East Forest Alliance. « Le seul critère apparent de sélection est de ne pas avoir d’impact sur l’industrie du bois. » « Une mascarade », a renchéri Penny Sharpe, porte-parole du Parti travailliste sur les questions environnementales.
L’Australian Koala Foundation, selon laquelle il ne resterait plus qu’entre 46 000 et 90 000 spécimens à l’état sauvage dans l’ensemble du pays contre dix millions à l’arrivée des premiers colons britanniques, au XVIIIe siècle, regrette des « solutions de fortune » et plus encore l’inaction du gouvernement fédéral. En 2012, Canberra avait classé l’espèce comme vulnérable dans la majorité des Etats australiens et promis un plan national de secours. Six ans plus tard, il est toujours à l’étude. « Nous n’avons pas besoin de recherches supplémentaires pour comprendre qu’il faut arrêter de privilégier systématiquement les intérêts miniers, agricoles et industriels en défrichant toujours davantage », s’agace Deborah Tabart, présidente de l’Australian Koala Foundation.
Pour les scientifiques, la situation est d’autant plus préoccupante que l’animal « qui ne boit pas », selon l’origine aborigène du terme, est particulièrement sensible au réchauffement climatique. Durant les étés caniculaires, de plus en plus fréquents en Australie, les feuilles d’eucalyptus asséchées ne contiennent plus suffisamment d’eau pour hydrater l’animal, et les incendies dévorent encore davantage son habitat naturel
Par Isabelle Dellerba (Sydney, correspondance)/Le Monde
photo : Des koalas sur une branche, en Australie. GERARD LACZ / BIOSPHOTO