La SNPN rend hommage au professeur Jean-Claude Lefeuvre, pionnier et pilier de la protection de la nature

Le professeur Jean-Claude Lefeuvre s’est éteint samedi 12 octobre à l’âge de 89 ans. La Société nationale de protection de la nature tient à saluer la mémoire de ce pionnier et pilier de la protection de la nature et de l’environnement.

Jean-Claude Lefeuvre était un adhérent de longue date de la SNPN et un lecteur assidu du Courrier de la NatureAmoureux des marais, il a été l’une des figures majeures de la défense des milieux naturels, et plus particulièrement des zones humides. La SNPN a entretenu un lien particulier avec lui, notamment pour son rôle déterminant dans la protection de la plaine des Maures. Grâce à la rigueur de ses recherches et à la force de ses arguments, il a contribué à éviter la création d’un circuit automobile Michelin dans cette zone, aujourd’hui classée réserve naturelle nationale, dont la SNPN est gestionnaire. Son engagement, à la croisée de la recherche scientifique et de l’action militante, constitue un modèle pour notre association, qui s’en inspire chaque jour dans sa mission de protection du vivant.

Jean-Claude Lefeuvre est tout d’abord un universitaire connu et reconnu pour ses travaux de recherche sur le fonctionnement des écosystèmes, tels ceux des landes et des marais salés. Il a été une voix essentielle dans la reconnaissance de la valeur écologique des milieux humides. Co-auteur de l’ouvrage « Fonctions et valeurs des zones humides » et membre de l’instance d’évaluation des politiques de protection des zones humides, il a démontré l’importance cruciale de ces milieux pour la régulation climatique, la qualité de l’eau et la préservation de la biodiversité. En tant que président du Conseil scientifique du Conservatoire du littoral, il a œuvré sans relâche à la sauvegarde des espaces côtiers menacés, tout en sensibilisant le public à leur rôle vital dans l’équilibre des écosystèmes.

L’action de Jean-Claude Lefeuvre, combinant recherche scientifique naturaliste rigoureuse, influence sur les politiques environnementales et action militante, est un modèle que la SNPN met en pratique  quotidiennement. Son héritage restera une source d’inspiration pour les écologistes de terrain, aujourd’hui, et pour les générations futures.

Une personnalité majeure dans la protection de l’environnement et dans la recherche en écologie fondamentale et appliquée au niveau national et international

Originaire d’Ille-et-Vilaine, Jean-Claude Lefeuvre était Docteur d’Etat ès sciences. Il a débuté sa carrière universitaire comme endocrinologiste, spécialiste de la morphogénèse alaire des insectes. Mais ce n’était pas un homme à rester cloisonné dans un domaine spécifique, tant il s’est persuadé très tôt, et bien avant d’autres spécialistes, que seule une approche écosystémique était pertinente pour aborder les problématiques environnementales.

En 1969, il est nommé professeur à l’Université de Rennes et y réalise une union scientifique entre quatre laboratoires pour créer le Groupe d’Etudes des Landes Armoricaines qu’il présidera jusqu’en 1993. Équipe qui sera rejointe ultérieurement par quatre autres laboratoires sous le nom d’Ecobio devenant l’une des principales unités pluridisciplinaires d’écologie en France. Nommé en 1972 au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHM), Sa carrière s’oriente ensuite vers la recherche. Il crée en 1979 le Laboratoire d’Evolution des Systèmes Naturels et Modifiés et dirige l’Institut d’écologie et de gestion de la biodiversité au MNHM de 1996 à 2003. En parallèle, il prend la tête de l’unité Ecodéveloppement de l’INRA de La Minière près de Versailles. Ses travaux portent sur les zones humides, ainsi que le bocage et les landes. Il a notamment travaillé à la station biologique de Paimpont dont il sera le directeur de 1967 à 1969 et sur les marais salés de la baie du Mont-Saint-Michel dont il fera l’un de ses principaux terrains de recherche. Il a également réalisé de nombreuses expertises comme par exemple sur le passage de l’autoroute Bordeaux-Genève en dehors du  parc régional des Volcans d’Auvergne ; sur le projet de création d’un parc national au Brésil ; sur les espèces envahissantes en Nouvelle Calédonie. En 1999, il dirige à la demande de la ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, un groupe de travail sur la chasse aux oiseaux migrateurs dont il tirera un rapport qui fera date pour faire évoluer les pratiques de chasse.

Jean-Claude Lefeuvre a présidé de nombreuses institutions notamment la Fédération française des sociétés de protection de la nature de 1979 à 1982 (FFSPN devenue France Nature Environnement) ; la Fondation pour l’eau potable ; le Comité écologie et gestion du patrimoine au ministère de l’Environnement ; le Comité des espaces protégés du Conseil de l’Europe ; le Conseil scientifique de l’Institut français pour l’environnement (Ifen) ; le Comité système écologique et action de l’homme ; le Comité ingénierie des milieux naturels du programme environnement ; le Comité écosystèmes et environnement (C3E) au CNRS ; l’Institut français de la biodiversité.

Tout au long de sa carrière d’universitaire et d’écologiste, il sera un défenseur inlassable et infatigable de l’interdisciplinarité et d’une écologie de terrain à mettre au service de l’argumentaire en faveur de la conservation et de la gestion des milieux naturels, persuadé qu’il était que les politiques publiques de protection de la nature et de l’environnement devaient s’appuyer sur les résultats de la recherche et les prendre en compte.

Pour déposer un message sur le site d’hommage ouvert par sa famille

 

 

 

Jean-Claude Lefeuvre, 1935 – 12 octobre 2024 : hommage à un pionnier, écologue engagé, ancien professeur au Museum, ex-président de FNE….

Jean-Claude Lefeuvre s’est éteint paisiblement dans la nuit du 12 octobre 2024. Ayant toujours étroitement associé écologie scientifique et écologie engagée, ce professeur émérite a mené une double vie associative et de chercheur, faisant de lui l’un des pionniers de la recherche en écologie et de la protection de la nature.La fédération française des associations de protection de la nature, qu’il a présidé de 1979 à 1982 et qu’il a marqué à jamais de son empreinte, tient à lui rendre hommage et à exprimer, au nom de toutes celles et tous ceux qui l’ont connu et apprécié dans sa famille associative, son soutien amical à Claudine, son épouse et à Thibault, son fils.

Un fin observateur des dynamiques naturelles

Attaché à la Bretagne où il est né le 18 mars 1935, le professeur Lefeuvre est d’abord un universitaire connu et reconnu pour ses travaux de recherche sur les landes et les zones humides et sur la biodiversité qui y est associée.

Ce spécialiste de la baie du Mont Saint-Michel, sur laquelle il écrit de nombreux articles scientifiques et ouvrages et dont il est l’un des plus efficaces artisans du réaménagement, a pourtant consacré ses premiers travaux aux insectes après sa soutenance de thèse sur la morphogenèse alaire des blattes en 1969.

C’est au sein du laboratoire « Zoologie et écologie » de l’Université de Rennes 1, dont il prend rapidement la direction, que Jean-Claude dédie une part croissante de ses publications à l’écologie des milieux, mais aussi aux politiques de protection de la nature et de l’aménagement du territoire.

Ce qui l’amène à créer, une fois nommé professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) en 1979, le Laboratoire d’Évolution des Systèmes Naturels et Modifiés en tant qu’unité mixte de recherche MNHN/Université de Rennes 1. Associée à partir de 1985 au CNRS et à l’INRA, ce laboratoire permet au professeur Lefeuvre de coordonner plusieurs programmes successifs européens de recherche sur le fonctionnement des marais salés des côtes ouest européennes.

Après avoir contribué à la création de l’Unité mixte de recherche « Écosystèmes, Biodiversité, Évolution » du CNRS et de l’Université de Rennes (UMR 6553 Ecobio Rennes) en 1996, il prend la même année la direction de l’Institut d’Écologie et de Gestion de la Biodiversité du MNHN jusqu’en 2003. Durant cette période, Jean-Claude est impliqué dans deux travaux marquants de l’histoire de la protection de la nature :

  • En 1999, il dirige à la demande de Dominique Voynet, un groupe de travail sur la chasse aux oiseaux migrateurs dont il tire en septembre son fameux rapport. S’attachant à synthétiser les données à prendre en compte dans les dispositions légales et réglementaires de chasse aux oiseaux d’eau et oiseaux migrateurs en France, ce rapport est salué par les associations de protection de la nature et participe à faire évoluer les pratiques de chasse
  • Entre juin 2002 et avril 2023, il est l’un des membres, aux côtés de Bernard Rousseau, président de France Nature Environnement de l’époque, de la commission Coppens qui prépare la charte de l’environnement promulguée le 1er mars 2005.

La finesse d’analyse

 de Jean-Claude est largement démontrée par les différentes expertises dont il est chargé au niveau national (circuit Michelin dans la plaine des Maures, passage de l’autoroute Bordeaux-Genève dans le parc régional des Volcans d’Auvergne, espèces envahissantes en Nouvelle Calédonie, qualité de l’eau en France), européen (lagune de Venise, marais poitevin) et international (projet de création d’un parc national au Brésil).

Son expertise est reconnue des pouvoirs publics qui lui confient des responsabilités dans plusieurs instances et comités scientifiques, allant de l’échelle régionale à l’échelle internationale. Nous retiendrons particulièrement sa présidence engagée de 2009 à 2015, du Comité permanent du Conseil national de protection de la nature (CNPN), qu’il voit comme « un des remparts aidant à protéger la biodiversité contre les exactions auxquelles elle est soumise ».

Un chercheur engagé dans les associations de protection de la nature pour faire bouger les lignes

Celui qui supervise la construction de la station biologique de Paimpont entre 1965 et 1967, comprend vite que l’écologie, qu’il considère comme l’une des plus importantes sciences de la vie, se nourrit de la pratique de terrain d’une part, et de la confrontation entre disciplines et avec la société civile d’autre part.

C’est en ce sens qu’il se tourne vers l’écologie appliquée, dont il pressent qu’elle « peut être la clef de nouvelles modalités de développement et d’une autre gestion du territoire ». Il en discute régulièrement avec ses collègues écologues au sein de la Société Française d’Écologie et d’Évolution (SFE2), dont il assure la vice-présidence entre 1977 et 1982, et avec les chercheurs d’autres disciplines et intellectuels du Groupe d’exploration et de recherche multidisciplinaires sur l’environnement et la société (Germes), qu’il contribue à fonder en 1975.

Ce breton ne manque pas non plus de s’intéresser à sa région et au tissu associatif qui s’emploie à la préserver. Ainsi, dès 1970, avec Bernard Le Garff, il organise pour le compte de la Société d’étude et de protection de la nature en Bretagne (SEPNB devenue Bretagne Vivante), l’une des toutes premières expositions sur les conséquences de la dégradation de l’environnement en Bretagne qui connaît un vrai succès pour l’époque (plus de 20 000 personnes en une semaine).

Jean-Claude ne peut évidemment rester insensible à la dégradation de la biodiversité qu’il étudie. Il veut le faire savoir, notamment pour faire évoluer les décisions politiques. Bouleversé par la tragédie de l’Amoco Cadiz, il prend la suite d’un autre scientifique engagé, François Ramade, à la présidence de la fédération française des sociétés de protection de la nature (FFSPN devenue France Nature Environnement) en 1979. Il consacre d’ailleurs une partie de son laboratoire à l’accueil de FNE.

Pendant 3 ans, il ne manque pas de souligner auprès des responsables politiques « la distorsion entre le discours et la réalité » mais aussi, d’engager le dialogue avec les autres acteurs de la société. Il prend ainsi rendez-vous en janvier 1980 avec Jacques Hamelin, président de l’Union nationale des Fédérations départementales des Chasseurs (UNFDC). Au terme de cet échange, les deux hommes conviennent d’agir « ensemble pour arrêter la détérioration des habitats nécessaires à la faune sauvage, voire à les recréer quand cela est possible ». Cela se traduit par plusieurs actions conjointes, notamment en faveur du Marais poitevin en 1984.

Pour de simples raisons diplomatiques, il prend un peu de recul associatif, afin de solidifier son engagement professionnel, et conséquemment sa contribution à la protection de la nature. Mais il reprend du service quelques années plus tard, au sein des comités scientifiques du WWF France et de la Fondation du Banc d’Arguin en Mauritanie, puis assure la présidence du Comité Français de l’IUCN.
Jean-Claude n’aura donc de cesse d’expliquer autour de lui les enjeux sociétaux liés à l’évolution des milieux naturels et des services écosystémiques associés, ce qui lui vaudra plusieurs distinctions académiques et la Légion d’honneur.

Le Professeur Jean-Claude Lefeuvre a marqué de son empreinte plusieurs générations de militantes et militants de la protection de la nature, par son humanité et son sens de la transmission des savoirs et des valeurs de la nature. Il entre sans conteste au Panthéon de l’écologie fondamentale et appliquée.

Jean-David Abel, pilote du réseau biodiversité de FNE, souligne que : « Deux choses sont pour moi marquantes dans la trajectoire de Jean-Claude Lefeuvre. D’abord comment il s’est toujours efforcé de relier recherche et action concrète, et comment il a su prendre la parole et porter des plaidoyers exigeants à des moments où la plus grande partie de la recherche française restait dans les labos ou les publications, estimant que l’apport des données et diagnostics scientifiques suffirait à modifier les politiques publiques ; lui a analysé le poids et les méthodes d’action des lobbies et n’a pas hésité à intervenir, en tant que scientifique, dans l’espace public. Ensuite la manière dont il a puissamment contribué à impulser l’essor du mouvement associatif de protection de la nature, régionalement et nationalement, convaincu qu’il était du rôle de la société civile pour promouvoir le respect du vivant ».

Pour Antoine Gatet, président de FNE : « Près de 50 ans après le passage de Jean-Claude à la présidence de FNE, son génie tutélaire a profondément marqué plusieurs générations de militantes et militants associatifs du mouvement. Son rapport sur la chasse était un exemple de recherche rigoureuse et militante pour le jeune juriste en droit de l’environnement que j’étais en 1999, et c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai eu la chance de travailler à ses côtés au CNPN. Il continuera à faire partie intégrante de l’identité de FNE, comme symbole du trait d’union qui unit la recherche scientifique naturaliste et l’action politique militante au service du vivant et du futur ».

Photo : UICN