La banquise arctique a atteint sa deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée

La glace de mer pointait à 3,7 millions de kilomètres carrés cet été. L’Arctique est en train d’opérer une transition vers un nouveau climat, dans lequel les extrêmes sont la norme.

C’est une nouvelle preuve que l’Arctique, sentinelle du réchauffement climatique, se dérègle toujours plus rapidement. La banquise polaire de l’hémisphère Nord a atteint sa deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée : 3,74 millions de kilomètres carrés le 15 septembre, juste derrière le record de 2012, qui pointait à 3,4 millions de kilomètres carrés, selon le Centre national américain de données sur la neige et la glace (NSIDC). C’est seulement la deuxième fois, depuis le début des relevés satellitaires en 1979, que l’étendue de la banquise arctique plonge sous la barre des 4 millions de kilomètres carrés. Soit très loin de la moyenne de 6,3 millions de kilomètres carrés de surface de mer gelée, mesurée à la mi-septembre, entre 1981 et 2010.

« Ce fut une folle année dans le Grand Nord, avec une banquise qui a presque atteint son étendue la plus faible jamais enregistrée, des vagues de chaleur frôlant les 40 °C en Sibérie et des feux de forêt massifs, déclare dans un communiqué Mark Serreze, directeur du NSIDC. Nous nous dirigeons vers un océan arctique saisonnièrement libre de glace, et cette année est un autre clou dans le cercueil. »

La fonte de la glace de mer a été particulièrement marquée la première semaine de septembre – avec une perte de 80 000 km2 par jour, un record –, en raison d’un air chaud provenant du centre-nord de la Sibérie, où les températures étaient de 6 °C supérieures à la moyenne. Le retrait est très important dans les mers de Barents, de Kara et de Laptev, au nord de la Scandinavie et de la Russie.

Cette fonte spectaculaire s’inscrit dans une tendance lourde à la disparition de la banquise. La glace de mer – qui connaît chaque année son étendue minimum mi-septembre avant de croître jusqu’à un maximum en février-mars – fond désormais davantage l’été et se reforme moins l’hiver. Sa superficie de fin d’été a décliné de 13 % par décennie depuis 1979 et les quatorze dernières années sont toutes les moins englacées. Cette faible étendue est « sans précédent depuis au moins mille ans », écrivait le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport spécial sur les océans et la cryosphère, paru en septembre 2019.

« Le rayonnement solaire fait fondre la banquise en l’été, mais l’océan joue aussi un rôle, non seulement en été quand les couches de surface de l’eau se réchauffent, mais aussi, désormais, en hiver », explique Marie-Noëlle Houssais, chercheuse océanographe (CNRS) au Laboratoire d’océanographie et du climat. « En Arctique, l’océan agit comme une petite bombe à retardement : il transporte et emmagasine en profondeur une chaleur qui provient de l’Atlantique. Depuis quelques années, par des effets de mélange, elle remonte épisodiquement vers la surface de l’océan Arctique, de sorte que la glace se reforme moins vite en hiver », poursuit la spécialiste des régions polaires.

Evolution de l’âge de la banquise arctique entre 1984 et 2019. En bleu foncé, la banquise a moins d’un an, en bleu clair, entre 1 et 2 ans, en vert, entre 2 et 3 ans, en jaune, entre 3 et 4 ans, et en rouge, plus de 4 ans.

Cette banquise moins étendue est également formée de glace plus mince et plus jeune, donc plus vulnérable. En 2019, à peine plus de 1 % de la couverture de glace de mer était constituée de très vieille glace (supérieure à 4 ans), contre 33 % en 1984, selon le NSIDC. Désormais, la banquise est formée aux deux tiers de glace datant de moins d’un an. « Or une banquise plus mince fond plus rapidement, elle est plus sensible aux tempêtes et elle dérive plus vite », prévient Marie-Noëlle Houssais.

Amplification arctique

Cette fonte aggrave le dérèglement climatique de la région, en une forme de cercle vicieux, en raison d’un phénomène appelé amplification arctique : lorsque de la glace ou de la neige disparaît, la couverture blanche très réfléchissante est remplacée par de l’océan ou de la végétation, plus sombres, qui absorbent davantage les rayons du soleil. Cela entraîne alors une hausse des températures de l’air et de l’eau qui, à son tour, accélère la fonte et donc le réchauffement. De sorte que depuis le milieu des années 1990, l’Arctique se réchauffe à un rythme plus de deux fois supérieur à celui du reste du monde.

« L’Arctique entre dans un climat complètement différent d’il y a quelques décennies. C’est une période de changement si rapide que les observations des climats passés ne montrent plus ce à quoi vous pouvez vous attendre l’année prochaine », indique Laura Landrum, chercheuse au Centre national de recherche atmosphérique, basé dans le Colorado (Etats-Unis). Elle a publié, avec une collègue, une étude dans Nature, lundi 14 septembre, montrant que l’Arctique est en train d’opérer une transition depuis un état essentiellement gelé à un climat totalement nouveau, dans lequel les extrêmes deviennent la norme.

En utilisant des observations de terrain et des modèles (qui présentent toutefois des incertitudes), les deux scientifiques concluent que dans le scénario le plus pessimiste du GIEC, qui implique que les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas limitées, l’Arctique serait totalement libre de glace pendant trois à quatre mois de l’année à la fin du siècle. En raison de cette disparition de la banquise l’été, les températures de l’air, au-dessus de l’océan Arctique, pourraient être 16 à 28 °C supérieures à celles de la seconde moitié du XXe siècle, durant l’automne et l’hiver. Les chutes de neige se transformeraient en partie en pluies, et la majorité des régions continentales connaîtraient un allongement de la saison pluvieuse de deux à quatre mois.

Six piscines olympiques par seconde

Au-delà de la banquise, dont la fonte n’augmente pas le niveau des océans puisqu’il s’agit d’eau de mer gelée, c’est la débâcle de la calotte glaciaire du Groenland – constituée, elle, d’eau douce – qui inquiète le plus les scientifiques. D’après une étude parue fin août dans Communications Earth & Environment, une publication de Nature, l’inlandsis groenlandais a perdu 532 milliards de tonnes de glace en 2019, soit l’équivalent du contenu de six piscines olympiques par seconde, un record. Une autre étude parue dans la même revue quelques jours plus tôt indiquait que le Groenland se dirige vers une disparition irrémédiable s’il garde le même régime de perte de masse – ce taux a été multiplié par sept en trois décennies. Lundi, une masse de glace de 113 km2, soit deux fois la surface de Manhattan, s’est détachée du plus grand glacier de l’Arctique, situé au Groenland.

« Si nous ne modifions pas rapidement et drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, on est sur la voie d’une disparition du Groenland sur une longue échelle de temps, sur plusieurs millénaires, voire plusieurs siècles », juge Gaël Durand, glaciologue à l’Institut des géosciences de l’environnement :

« Les impacts seront importants sur l’élévation du niveau des mers, ce qui pourrait avoir de graves conséquences car l’activité humaine se concentre sur les côtes. »

Ces changements sans précédent que connaît l’Arctique mettent déjà les habitants et les écosystèmes en péril. Ils affectent les autochtones, qui ont plus de mal à pêcher et à chasser, alors que les poissons ou les mammifères migrent vers le nord. Ces populations se retrouvent, en outre, davantage isolées, faute de banquise pour se déplacer en motoneige, arrimer leurs bateaux ou faire atterrir leurs avions. Moins de glace signifie également des vagues et des tempêtes plus intenses et plus fréquentes, qui frappent la côte et érodent le littoral, de sorte que des villages envisagent de se relocaliser.

Plus largement, les modifications du climat de l’Arctique, considéré comme le climatiseur de la planète, peuvent avoir un impact sur le climat aux latitudes moyennes de l’hémisphère Nord. De nombreuses études ont montré que la fonte de la banquise pouvait entraîner des épisodes froids en Asie de l’Est ou dans l’est des Etats-Unis. Mais ces liens épisodiques ne peuvent être généralisés à l’ensemble des régions de moyennes latitudes, prévient le GIEC dans son rapport sur la cryosphère, indiquant qu’il existe de nombreuses incertitudes.

L’Arctique est également un des moteurs de la circulation thermohaline de l’océan. « S’il y a moins de glace dans l’océan Arctique et si la fonte du Groenland s’amplifie, la transformation des eaux chaudes en eau froide qui alimente cette circulation entre l’Equateur et les pôles risque d’être perturbée », explique Marie-Noëlle Houssais. De quoi affecter le climat de l’océan Atlantique, et donc de l’Europe.

 

photo : Daniella Zalcman / © Daniella Zalcman / Greenpeace