Le réchauffement climatique devrait avoir des effets abrupts, plutôt que progressifs, sur l’extinction des espèces, révèle une étude publiée mercredi 8 avril dans Nature. Ce qui pourrait provoquer des effondrements rapides d’écosystèmes, et non leur lente dégradation.
Comme pour le climat, les modèles d’étude du déclin de la biodiversité, tels que ceux utilisés par l’IPBES[i] dans son rapport de mai 2019, livrent le plus souvent des instantanés à horizon 2050 ou 2100. Cette approche ne permet pas de mesurer la dynamique du phénomène, notamment face au réchauffement: le déclin des espèces au sein d’un même écosystème sera-t-il progressif, ou faut-il au contraire s’attendre à des effondrements rapides?
Publiée le 8 avril dans Nature, l’étude d’Alex Pigot, du Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement de l’University College de Londres, et ses collègues conforte la deuxième hypothèse, celle d’extinctions quasi-simultanées d’espèces partageant un même écosystème. «Alors que le climat se réchauffe, la plupart des espèces d’une même zone seront capables de résister pendant un moment, jusqu’à ce qu’elles passent un seuil au-delà duquel une grande proportion d’entre elles se trouvera face à des conditions qu’elles n’ont jamais connues jusqu’alors», explique Alex Pigot.
PLUS DE 30.000 ESPÈCES ÉTUDIÉES
Pour montrer cela, les chercheurs ont étudié la température annuelle maximale endurée, au cours de la période 1850-2005, par un total de 30.652 espèces d’oiseaux, de mammifères, de reptiles, d’amphibiens, de poissons et d’invertébrés marins, de krill, de céphalopodes (poulpes, seiches, calamars), de corail et de plantes aquatiques marines.
Ils ont ensuite analysé des assemblages d’espèces, regroupées sur des cellules de 100 km de côté, au fil du 21ème siècle selon trois types de scénarios climatiques RCP: les RCP2.6, les RCP4.5 et les RCP8.5, qui prévoient respectivement une hausse de température moyenne de 1,6°C, 2,4°C et 4,3°C entre l’ère préindustrielle et 2100.
Les chercheurs ont déterminé, en fonction de ces scénarios, à quel moment ces espèces, et leurs assemblages écosystémiques, enduraient une température supérieure à leur maximum historique au moins cinq ans d’affilée.
LES ZONES TROPICALES, PREMIÈRES TOUCHÉES
Premier constat, les écosystèmes tropicaux présentent la plus grande vulnérabilité au climat: sous un scénario RCP8.5, 68% des assemblages d’espèces terrestres tropicales (39% de ceux d’espèces marines) verront au moins 20% de leurs espèces rencontrer des conditions thermiques qui leur sont inconnues avant 2100, suggérant un risque élevé d’effondrement de l’écosystème.
Par comparaison, ces chiffres ne sont que de 7% (milieu terrestre) et 1% (milieu marin) sous les latitudes tempérées. Comment expliquer que le réchauffement, moins prononcé aux basses latitudes, y ait des effets aussi forts sur la biodiversité? Par un fait bien connu des biologistes: les espèces tropicales, habituées à de faibles variations de température au cours de l’année, présentent une moindre gamme de tolérance thermique.
EFFONDREMENTS SOUDAINS PLUTÔT QUE LENTS DÉCLINS
Autre résultat frappant, la rapidité avec laquelle les effondrements écosystémiques pourraient survenir. Dans un scénario RCP8.5, 71% des espèces locales d’un même assemblage (valeur médiane sur l’ensemble des assemblages étudiés) rencontreraient des conditions thermiques inédites sur une seule et même décennie. Ce qui démontre que, en matière de biodiversité, le réchauffement ne se présente sous forme de pente glissante, mais de falaises abruptes en série.
Selon un scénario RCP8.5, la survenue de ces effondrements thermiques survient en moyenne vers 2074, pour l’ensemble des assemblages d’espèces évalués. Toutefois il serait déjà en cours dans les milieux marins tropicaux, par exemple dans les Caraïbes et le Triangle de Corail — autour de l’Indonésie, de la Malaisie et des Philippines. Possible exemple, les cinq épisodes de blanchiment du corail qui ont frappé la Grande barrière, en Australie, depuis 1998, dont le dernier est en cours. Vers 2050, de tels effondrements pourraient s’étendre aux milieux terrestres.
RÉDUIRE LES ÉMISSIONS POUR GAGNER DU TEMPS
Si le choix du scénario climatique ne modifie pas la brusquerie des effondrements, il modifie l’échéance à laquelle ils surviennent. Avec un scénario RCP2.6, ces effets sont retardés de six décennies, aussi bien en milieu terrestre que marin, estiment les chercheurs.
«Nos résultats soulignent le besoin urgent d’une atténuation du changement climatique, en réduisant immédiatement et radicalement nos émissions, ce qui pourrait sauver des milliers d’espèces de l’extinction. Maintenir le réchauffement en-dessous de +2 °C [par rapport à l’ère préindustrielle, déjà surpassée de 1 °C, ndlr] permettra d’aplanir la courbe’ de ce risque. Cela fournira plus de temps aux espèces et aux écosystèmes pour s’adapter au changement climatique, que ce soit en trouvant de nouveaux habitats, par l’évolution de leurs comportements, ou avec l’aide d’efforts de conservation», commente Alex Pigot.
Romain Loury/Journal de l’Environnement, 10 avril
[i] Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques