« Depuis le temps que le glas sonne l’agonie de la biodiversité, on finit par s’en accommoder. Quelles solutions apportera-t-on pour répondre aux derniers bilans catastrophiques qui confirment l’hémorragie du vivant ? Le ministère de la Transition écologique et solidaire promet un plan d’action dans les plus brefs délais. A suivre donc…
En attendant (et il y a longtemps que l’on attend !), l’appel des 15 000 scientifiques, lancé en novembre dernier, n’a pas trouvé l’écho espéré. Quelques évocations ici ou là, rien d’événementiel.
Le bilan STOC (Suivi temporel des oiseaux communs) révélé par le Muséum national d’histoire naturelle et l’étude du CNRS de Chizé, confirmant le déclin catastrophique des populations d’oiseaux, tout particulièrement celles dépendants des secteurs agricoles, n’ont guère secoué les consciences. Même chose pour le rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) qui – dans la foulée – concluait à un état effroyable des ressources de la planète : diminution de 87 % des zones humides dans le monde, diminution de 38 % des vertébrés sauvages terrestres en quatre décennies, augmentation de 66 % des habitats marins en mauvais état de conservation…. La sinistre liste se poursuit sans grand espoir d’inversement des tendances mortifères.
Comment se fait-il qu’une telle situation perdure dans une évidente indifférence ? Réponse : la biodiversité est victime de la hiérarchie des valeurs. Dans l’urgence, on lui a préféré la question climatique, comme si l’une et l’autre ne méritaient pas une pareille attention. Et lorsque l’on se penche sur la marche à suivre pour inverser la tendance, le cheminement relève de la mobilisation générale. Répondant à une question écrite à l’Assemblée nationale, Nicolas Hulot a emprunté les pas de Victor Hugo, qui s’était exprimé dans le même hémicycle pour défendre la cause animale. Tous deux ont usé d’une conviction admirable pour plaider en faveur d’un véritable changement. Mais s’il est vrai que la biodiversité mérite que chacun agisse pour un avenir durable, on peut aussi se demander quel est le projet d’Etat. Or, jusqu’à présent, les seuls signaux marquant l’intérêt porté à la biodiversité ne sont pas de nature rassurante. Outre que le nombre de loups à abattre a été alourdi et que l’on envisage le renforcement des populations d’ours, le Président de la République a rencontré celui des chasseurs pour grossir les gibecières. Ainsi les porteurs de fusils se réjouissent que les chasses présidentielles, abolies par Jacques Chirac, retrouvent leur lustre d’antan. On raconte que la première d’entre elles réunirait le gotha franco-italien à l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci. Le brave homme, végétarien par conviction et fervent défenseur du monde animal, doit se retourner dans sa tombe à la perspective d’une hécatombe en son honneur.
Parmi les promesses faites par le Président de la République au cours de deux rencontres, en attendant la troisième prochainement, la chasse aux oies se poursuivrait durant tout le mois de février. Peu importe les 11 condamnations du Conseil d’Etat pour des tentatives d’allongement au-delà du 31 janvier. De même que l’engagement de la France à respecter la date de clôture faite à la Commission européenne pour éviter les poursuites. Dédain comparable à l’égard de la Directive Oiseaux. Dans cette réflexion cynégétique, il faut quand même rappeler que sur la soixantaine d’espèces d’oiseaux chassables en France (le plus gros score des pays européens), plus d’une vingtaine d’entre elles sont sur les listes de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Dont la tourterelle des bois qui, après avoir été braconnée dans le Médoc pendant 20 ans, agonise aujourd’hui. En Europe, elle bénéficie même de plans d’actions dans l’espoir d’une résilience. Chez nous, elle figure toujours sur la liste gibier. L’alouette des champs, qui vient d’être tristement référente dans le déclin des populations d’oiseaux (perte d’un tiers des populations d’oiseaux en 15 ans) continue également de se faire canarder. En France, ce sont 288 000 oiseaux qui sont piégés à la matole ou au filet dans le Sud-Ouest, sans parler des 180 000 tués au fusil (données de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage pour la saison 2013-2014). On pourrait également évoquer le sort dramatique des galliformes (NDLR communément appelés « gallinacés ») de montagne ou même l’usage de la glu qui fait encore recette dans les parcs naturels régionaux ou nationaux. Voici donc la réponse du chef de l’état au constat alarmant de la sixième extinction…
Au risque de plomber davantage l’ambiance, je ne peux passer sous silence la condition animale. Les Etats généraux de l’alimentation avaient prévu d’engager une grande réflexion conduisant à un profond changement d’habitudes. À l’arrivée, les propositions ne prennent même pas en compte le principe des caméras dans les abattoirs qui avait pourtant été validé à l’Assemblée Nationale, il y a plus d’un an. Le ministre de l’Agriculture se veut rassurant, en soulignant l’importance qu’il accorde au bien-être animal, mais la stratégie envisagée ne propose pas de changements véritables. Ainsi l’abattage rituel, dont l’Ordre national des vétérinaires souligne la souffrance générée, se poursuit. Dans le même esprit, pas question d’imposer une traçabilité pour indiquer sur les viandes le type d’abattage….
Tant dans le domaine de la biodiversité que de la condition animale, l’Etat a perçu que la société était en demande d’évolution, voire de révolution. Réjouissons-nous que l’Etat ait perçu, il lui reste à entendre… » Allain Bougrain-Dubourg
Membre de très longue date des JNE, Allain Bougrain-Dubourg est Président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Retrouvez-le tous les samedis matins à 7 h 45 sur Europe1 pour sa chronique Entre chien et loup.