Le programme de conservation du loup gris, en vigueur depuis plusieurs décennies aux Etats-Unis, a été un franc succès. Une victoire qui va cependant conduire à des difficultés, notamment sanitaires et sociales, préviennent deux chercheurs.
Depuis maintenant plus de 30 ans, un programme de restauration et de sauvegarde du loup gris (Canis lupus) est en vigueur aux Etats-Unis et, comme le montre une étude parue le 16 août dernier dans la revue BioScience, c’est un succès. La population de loups sur le sol américain est passée, en seulement 50 ans, de 750 individus à 6000. Et son aire de répartition de seulement deux Etats (Minnesota et Michigan) à 11 en 2023. « Un programme de conservation au succès remarquable qui implique des challenges remarquables« , prévient cependant dans un communiqué David E. Ausband, co-auteur de cette étude.
Le moment est crucial car si l’expansion du loup s’est déroulée jusqu’à présent sans embûches, David Ausband et son collègue prévoient maintenant de potentielles difficultés tant scientifiques que sociales. « À mesure que les populations augmentent, les loups coloniseront davantage de paysages dominés par l’Homme et seront confrontés à de nombreux défis« , annoncent-ils.
Un risque d’hybridation
Des problèmes sanitaires et génétiques sont maintenant à craindre. Les chercheurs s’inquiètent ainsi des risques d’hybridation et de transmission de maladies. Ils peuvent être accentués par la fragmentation des habitats, entraînant une hausse du nombre de rencontres avec des humains ou des animaux domestiques.
Concernant l’hybridation, « nous pensons que cela deviendra un défi plus important à mesure que les loups occuperont des habitats marginaux et des paysages dominés par l’Homme où les interactions avec les chiens domestiques (Canis familiaris) seront courantes, expliquent les chercheurs dans leur étude. L’hybridation, en particulier avec les chiens, peut s’avérer problématique pour les petites populations de loups, où la diversité génétique limitée constitue un problème« .
L’étude souligne aussi que « les loups sont également sensibles à plusieurs maladies qui peuvent affecter la croissance de la population dont plusieurs sont transmissibles par les chiens domestiques. » Et d’ajouter :« On peut s’attendre à davantage d’épidémies chez les loups à mesure qu’ils colonisent des paysages dominés par l’Homme et interagissent davantage avec des espèces qui peuvent agir comme réservoirs de maladies« .
Les chercheurs évoquent également le problème récurrent des attaques sur le bétail. Quasiment partout dans le monde, cette prédation induit des tensions et conduit à des mesures parfois radicales, comme des tirs en France. Si aux Etats-Unis les attaques de loups ne conduisent pas à des pertes élevées pour les gros industriels, le coût peut néanmoins être conséquent pour les petits éleveurs poussés à prendre des précautions parfois étonnantes. C’est par exemple le cas d’un fermier du Colorado, qui après la perte de nombreuses vaches, a enrôlé une meute d’ânes de « garde » pour les protéger. « Ils peuvent se défendre« , témoignait le fermier. « Ils donnent des coups de pied, frappent et mordent« .
David Ausband et son collègue insistent sur la nécessité de compenser correctement les pertes auprès des éleveurs afin que la cohabitation se passe au mieux. Selon eux, l’utilisation de chiens de garde et de cavaliers est dissuasive et « adoptée par les producteurs vivant avec les loups depuis des siècles« . Ils soulignent aussi l’importance du développement de modèles prédictifs précis capables de suivre la dynamique de colonisation des canidés. Ainsi, les potentielles interactions avec des animaux domestiques et d’élevage pourront être prévues et mieux surveillées.
Des gestions différentes selon les Etats
Depuis le début de ce programme de conservation, les réactions ont été très différentes selon les Etats. Alors que certains craignent le loup, d’autres choisissent de le réintégrer pleinement. Par exemple, « dans le Wisconsin, le législateur exige une saison publique de chasse ou de piégeage chaque fois que les loups sont radiés de la liste des espèces en voie de disparition du US Fish and Wildlife Service« , souligne l’étude.
Le Colorado (ouest) a, quant à lui, fait voter la réintroduction de l’animal par ses habitants et a obtenu gain de cause. Si les chercheurs critiquent l’utilisation d’un scrutin pour la gestion de la nature – finalement, « une initiative électorale visant à empêcher la réintroduction du loup est tout aussi réalisable qu’une initiative conduisant à la réintroduction« , souligne l’étude – cette décision a néanmoins le mérite de suivre les recommandations scientifiques. En effet, une étude datant de 2022 et parue également dans Bioscience préconisait l’augmentation de la population de loups sur la côte ouest. Selon cette dernière, « un superprédateur comme le loup est capable de provoquer de puissants et larges changements écologique« . Les loups aident à la régulation des ongulés et facilitent ainsi la repousse de la végétation, un processus écologique important.
Si le Colorado fait office de bon élève, un désintéressement global pour la nature est observé aux Etats-Unis et même dans le monde. Alors « la conservation future du loup aux États-Unis sera affectée par la capacité des gestionnaires à éviter une réduction de la tolérance à l’égard des loups due à un désintérêt pour la nature« , préviennent les scientifiques.
A noter que si la population du loup gris est en augmentation, celles du loup rouge et du loup du Mexique restent menacées. Ce dernier serait bloqué à la frontière par le mur voulu par Donald Trump, l’empêchant d’étendre son territoire.
Source : Sciences et Avenir