Un comportement étonnant a été observé chez les bécasseaux d’une baie en Colombie-Britannique, au Canada. Ils passent les heures de marée haute en vol, dans une formation très particulière leur permettant d’éviter des attaques de faucons pèlerins. Mais il se trouve que ces derniers ont peut-être réussi à détourner cette technique d’esquive à leur profit.
« Même si les prédateurs sont imaginés ayant des stratégies d’attaques très pointues dans les références de pop-culture, à l’instar des vélociraptors dans Jurassic Park, les biologistes restent beaucoup plus sceptiques quant à leurs véritables capacités d’organisation », raconte dans un communiqué le professeur Ronald Ydenberg de l’Université de Simon Fraser (Canada), principal auteur d’une étude portant sur l’attaque des faucons parue le 11 octobre 2023 dans Frontiers in Ethology. Pourtant, force est de constater que les observations qu’il a menées sur les faucons pèlerins (Falco peregrinus), face à des bécasseaux variables, démontre une tendance à réfléchir les attaques pour assurer plus de prises.
Les faucons et les bécasseaux variables de la baie Boundary
Les bécasseaux variables (Calidris alpina pacifica) sont des oiseaux limicoles (qui vivent sur les rivages) marins. Ce sont des êtres sociaux avec un fort instinct grégaire. Ils forment durant l’hiver des groupes de parfois plusieurs centaines d’individus et ratissent les vasières à la recherche de petits crustacés, d’insectes ou de vers. Ils sont très communs dans le monde, si bien qu’ils sont, en Europe, les oiseaux limicoles les plus représentés.
Normalement, ils passent une grande partie de leurs temps dans les vasières et suivent le rythme des marées. Ils se rapprochent par exemple des terres lorsque la marée est haute. Leur principal prédateur est le faucon pèlerin, rapace diurne emblématique de l’ordre des falconidés, qui est, entre autres, un ornithophage (mangeur d’oiseaux). Il attaque souvent grâce à une technique appelée « attaque furtive », qu’il met en place facilement quand les bécasseaux sont près de la terre, et que le ciel leur est en partie caché par la végétation.
Dans la baie Boundary, située dans la Colombie-Britannique, au Canada, le nombre de faucons a augmenté durant les années 1990, ce qui a créé l’émergence d’un nouveau comportement chez les bécasseaux : durant la marée haute, au lieu de s’éloigner du rivage, ils adoptent une formation de vol au-dessus de l’océan (abrégée « OOF »), ce qui d’une part est énergivore, mais de l’autre réduit les chances du faucon de réussir son attaque. Ainsi, les bécasseaux deviennent moins vulnérables et se protègent de leur prédateur. Cependant, cette technique ne peut se faire que si les conditions météorologiques sont favorables (du vent, pas de pluie).
Stratégie vraiment réfléchie ou simple coïncidence ?
Oui mais voilà, l’OOF n’est pas sans conséquence sur les bécasseaux. Rester en vol longtemps demande une grande quantité d’énergie et, par conséquent, un temps de ravitaillement plus important. Sauf que « le modèle Wolf-Mangel (théorie éthologique dominante, ndlr) suggère que des proies affamées vont investir plus d’effort dans la recherche de nourriture plutôt que dans la défense contre des prédateurs, chose que ces derniers peuvent exploiter », explique le professeur Ydenberg.
Les bécasseaux sont les plus vulnérables juste avant et juste après l’OOF (2h avant et 2h après) car ils ont respectivement besoin d’emmagasiner de l’énergie en profitant de la marée montante et besoin de se reposer et de chercher à se nourrir en exploitant une marée cette fois descendante.
Les scientifiques, au cours de leurs observations, se sont aperçus que les faucons avaient une tendance à effectuer de « fausses attaques » pour obliger les bécasseaux à partir plus tôt au-dessus de l’océan. En réalité, selon des ornithologues habitués à l’étude des faucons pèlerins, ils s’agiraient plutôt d’attaques avortées ou d’une sorte d’échauffement avant l’attaque réelle.
Mais, quelle que soit l’appellation, le résultat est le même : les bécasseaux s’envolent plus tôt, sans avoir pu se nourrir correctement et finissent bien plus fatigués. Ce qui les amène à devenir des cibles faciles pour des prédateurs aussi aguerris que les faucons. Stratégie vraiment réfléchie ou simple coïncidence, les éthologues n’ont pas encore tranché. « Il est possible que cela soit un comportement temporaire que nous avons observé, et non une réelle tactique de la part des faucons. Nous avons, par exemple, constaté que des individus moins expérimentés attaquaient tôt avant la marée haute, ce qui provoquait un OOF de la part des bécasseaux, tandis que des individus plus expérimentés attaquaient au retour des proies […] tester cette hypothèse (tactique ou comportement temporaire ?) nécessiterait de pouvoir reconnaitre chaque individu, ce qui est impossible », conclut le professeur Ydenberg dans le communiqué.
Source Sciences et Avenir