Selon une étude publiée dans « Nature », les chutes de neige ne parviennent plus à contrebalancer les pertes de glace du territoire arctique.
Cela fait plusieurs années que le lien de cause à effet entre le réchauffement climatique et la fonte des glaces est documenté. Une étude, publiée dans la revue Nature, jeudi 13 août, montre que la disparition définitive de la calotte glaciaire du Groenland est de plus en plus probable, même si les émissions de gaz à effet de serre disparaissaient dès aujourd’hui.
Les scientifiques à l’origine de l’étude, issus des universités de Colombus (Ohio), d’Irvine (Californie) d’Utrecht et de Del# (Pays-Bas), se sont appuyés sur plus de trois décennies de données satellitaires pour analyser les transformations du territoire arctique. Ces données détaillent la vitesse, l’élévation et la position frontale de toute la calotte glaciaire. « On peut observer localement les glaciers, mais les satellites sont de formidables outils, ils nous permettent de ne pas nous tromper », déclare Gaël Durand, glaciologue et directeur de recherche à l’Institut des géosciences de l’environnement de Grenoble (IGE).
Jusqu’en 2000 environ, la perte de masse du glacier groenlandais était « normale ». C’est-à- dire que la fonte au contact de l’eau, celle à la surface (causée par le soleil et la température ambiante) et le vêlage (lorsque des bouts de glace se détachent de la calotte) étaient à peu près responsables à parts égales de la disparition de la glace.
Mais les années suivantes, les chercheurs ont constaté que le rétrécissement de la calotte glaciaire groenlandaise s’accélérait. Le glacier a reculé si rapidement que les chutes de neige, qui participaient à reconstruire la surface glaciaire après une fonte naturelle accrue en période estivale, ne peuvent plus suivre le rythme de fonte des parties nouvellement exposées à l’eau de mer, de plus en plus chaude, ou à la température ambiante. L’eau de fonte super »cielle s’écoule vers la base des glaciers, la couche d’eau infiltrée agit alors comme un lubrifiant et provoque l’accélération de leur déplacement. Cette accélération serait due à l’arrivée régulière de courants d’eau chaude.
« Il faudrait une année particulièrement neigeuse pour que le glacier gagne en masse », estime M. Durand. Actuellement, en moyenne, la calotte gagnerait de la masse une fois tous les cent ans. Mais prévoir les chutes de neige reste « extrêmement délicat », précise le chercheur.
Montée des eaux
« Dire que la calotte glaciaire a atteint son point de non-retour, c’est une chausse-trape à éviter, tempère toutefois le glaciologue. Le point de non-retour, nous en sommes très proches, mais le Groenland ne fond pas du jour au lendemain ». De plus, les scienti »ques s’appuient sur les données dont ils disposent, mais ces informations sont récupérées à partir de satellites assez récents. L’étude de l’évolution de la calotte glaciaire sur une trentaine d’années est donc à relativiser. « Observer trente ans de la vie d’un glacier, c’est être plus proche de la météo que de la climatologie », explique Gaël Durand.
D’après Hubert Gallée, également chercheur à l’IGE, la disparition de la calotte glaciaire du Groenland, fait néanmoins « de plus en plus consensus dans la communauté scientifique ».
Les résultats de cette étude rappellent surtout la nécessité de freiner le réchauement climatique. « Quand bien même ce point de non-retour serait atteint, il faut limiter cette accélération. Plus on chauffera, plus la fonte sera rapide », met en garde Gaël Durand. Les chercheurs prévoient ainsi le recul de grands glaciers groenlandais tels que Jakobshavn Isbræ et Kangerdlugssuaq.
Les scientifiques estiment également que la fonte brutale de la calotte glaciaire du Groenland pourrait entraîner une montée des eaux de l’ordre de 7 mètres. Dans les faits, l’immense île est responsable de la hausse de plus de 1 millimètre par an du niveau de la mer : c’est le plus grand contributeur à l’élévation mondiale en la matière.
En 2019, un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat établissait que le niveau des mers et océans devrait augmenter de 43 cm environ d’ici à 2100 dans un monde à + 2 °C, et de 84 cm dans un monde à + 3 °C ou + 4 °C.
Mai2020lis Rey-Bethbeder/Le Monde, 18 août