Dans sa chronique, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », revient sur les appels de nombreux acteurs économiques à un assouplissement des normes environnementales pour faire face à la pandémie due au coronavirus.
Chronique. Que de la catastrophe il puisse naître quelque chose : c’était l’espoir de ceux qui se soucient de l’environnement. Il aura fallu très peu de temps pour que cet espoir soit douché. Le « monde d’après » la pandémie de Covid-19 s’annonce, en dépit des discours, la copie conforme de celui d’avant. En Europe, aux échelons communautaires comme nationaux, tout concourt à relancer les économies sans considération pour la question écologique. Le Green Deal dont la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, veut faire le pilier de son mandat, est attaqué par les lobbys industriels et remis en cause par une majorité d’Etats membres.
Même l’Allemagne tarde à transmettre à Bruxelles son plan énergie-climat, qui doit préciser les moyens qui seront mis en œuvre pour réduire ses émissions d’ici à 2030. De toutes parts, la gestion de la pandémie de Covid-19 et les mesures nécessaires à la sortie de crise conspirent à faire de l’environnement une question subsidiaire, qui pourrait, au mieux, être remise à plus tard une fois l’économie relancée.
L’industrie de la plasturgie réussit la prouesse d’un retour en grâce du plastique à usage unique pour des motifs discutables d’hygiène, les agrochimistes et l’agro-industrie demandent des assouplissements de normes sur l’usage des pesticides et les limites maximales de résidus autorisées dans l’alimentation, voire sur les distances de sécurité entre habitations et zones traitées… Par la voix de son patron, Geoffroy Roux de Bézieux, le Medef exige carrément, en réponse à la pandémie, « un moratoire sur la préparation de nouvelles dispositions énergétiques et environnementales », dans une lettre du 3 avril, au ministère de la transition écologique et solidaire, révélée par Le Canard enchaîné.
Un rendez-vous (presque) manqué
Un peu partout, ces demandes rencontrent l’oreille compatissante de ceux qui sont aux affaires. Relancer l’activité économique, reconstruire la demande, remettre le monde sur les rails qu’il a brièvement quittés : cela semble la priorité. En France, par exemple, aucune contrepartie environnementale ou climatique n’a été demandée aux grands groupes qui se verront soutenus à hauteur de 20 milliards d’euros d’argent public.
Pourtant, la mise à l’arrêt de l’économie était une opportunité de refaire de la politique au sens premier du terme, c’est-à-dire de définir et de poursuivre des objectifs communs désirables. L’occasion était inespérée de reprendre le contrôle de la marche du monde, et de commencer à l’infléchir en choisissant les secteurs d’activités à relancer et à soutenir. Ce n’est pas ce qui semble se préparer, et ce rendez-vous (presque) manqué met en lumière l’un des grands paradoxes de notre temps : faire de la politique au XXIe siècle, c’est refuser d’en faire. C’est décider qu’on ne décidera pas, c’est s’en remettre à l’offre et à la demande….
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: Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, à Bruxelles, le 15 avril 2020. POOL / REUTERS