Plus récent et moins « bruyant » que la lutte contre le réchauffement climatique, le combat pour la préservation de la biodiversité doit être mené avec autant d’ambition. Car ces enjeux sont liés et les conséquences potentielles gigantesques.
Editorial du « Monde ». L’état des lieux est calamiteux et les perspectives sont affolantes. Jamais dans l’histoire de l’humanité le vivant n’a été aussi menacé. Le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui se tient à Marseille du 3 au 11 septembre, constitue une étape essentielle non seulement pour accélérer la prise de conscience des enjeux de l’effondrement de la biodiversité, mais aussi pour mobiliser les décideurs afin de tenter d’inverser le cours de la catastrophe.
Si des ouvrages ont décrit les dégâts causés à la nature par l’activité humaine dès les années 1960, la lutte en faveur de la préservation de la biodiversité a pris du retard par rapport à celle contre le réchauffement. Alors que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a sonné le tocsin il y a une trentaine d’années, le premier rapport d’envergure de la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques date seulement de 2019.
Pourtant l’urgence n’est pas moins grande. Le taux d’extinction des espèces animales et végétales s’accélère à une vitesse vertigineuse. Souillée et détruite par l’activité humaine, la nature recule partout, qu’il s’agisse des océans, des rivières ou des forêts, avec des conséquences irrémédiables sur la faune, la flore et l’homme. En cinquante ans, les populations de vertébrés ont ainsi chuté des deux tiers. La situation concernant les insectes et les essences d’arbres est tout aussi inquiétante. En bout de chaîne, cette dégradation des écosystèmes a un impact négatif sur plus de la moitié de l’humanité en matière de santé et de cadre de vie.
L’enjeu de sensibilisation
La prise de conscience de la crise climatique a été lente, mais elle est aujourd’hui largement partagée. Celle de la chute de la biodiversité doit encore faire d’énormes progrès. Autant les conséquences du réchauffement s’imposent à nous de façon visible, autant les enjeux de l’extinction du vivant paraissent moins prégnants pour des populations de plus en plus urbaines et de moins en moins en contact avec la nature. L’enjeu de sensibilisation est colossal.
Les deux phénomènes sont pourtant indissociables. La biodiversité agit comme un gigantesque régulateur du climat. Plus les océans s’acidifient, plus la déforestation prend de l’ampleur, plus le réchauffement sera difficile à maîtriser. La protection de ces écosystèmes permettrait de contribuer à un tiers de l’objectif de réduction des émissions de CO2 fixé dans le cadre de l’Accord de Paris à l’horizon 2030.
Pour plus d’efficacité, il est indispensable de lutter de front contre le réchauffement climatique et la dégradation de la biodiversité. Recherche, financements et politiques publiques ont trop longtemps fonctionné en silo. Il est temps de coordonner les décisions.
Les annonces d’Emmanuel Macron en ouverture du congrès sur l’extension des surfaces maritimes protégées et la tenue prochaine en France d’un sommet « One Ocean » sont des initiatives louables. Pour être à la hauteur des enjeux, elles doivent néanmoins s’inscrire dans une mobilisation mondiale qui tarde à se concrétiser.
Surtout, les politiques publiques doivent s’astreindre à davantage de cohérence. La réforme de la politique agricole commune (PAC) en est un exemple manifeste. Faute de tourner véritablement le dos à l’agriculture intensive en laissant d’importantes marges de manœuvre aux Etats membres, le compromis européen laisse peu d’espoir d’un changement véritable, alors que ces pratiques ont des effets reconnus en matière de dégradation des milieux naturels et de déclin de nombreuses espèces sauvages.
Source : Le Monde