A des fins de divertissement du public, et en contradiction avec la mission scienti!que du Muséum d’histoire naturelle de Paris, propriétaire du zoo, des centaines d’animaux y vivent en captivité depuis des décennies, alerte un Collectif de chercheurs, vétérinaires et éthologues.
Le 16 juin dernier, cela a fait quarante-neuf ans que Nénette est à la ménagerie du Jardin des plantes de Paris. Propriété du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), et vieille de deux cent vingt-sept ans, la ménagerie connut diverses activités : le commerce des animaux exotiques, leur exhibition en vue de divertir le public, leur acclimatation à des fins zootechniques, les travaux de classi!cation et d’anatomie comparée par la dissection des morts.
Faut-il rappeler ce que furent, pour des millions d’animaux, la soustraction à leur lieu de vie et à leurs congénères, la traversée des survivants par bateau durant des trajets si longs et si éprouvants qu’à la !n du XIXe siècle, les deux tiers d’entre eux mouraient avant d’arriver dans l’institution ?
Aux collections vivantes s’ajoutent les collections mortes ; ainsi le Muséum national d’histoire naturelle comptait 650 000 spécimens en 1858 et 8,5 millions en 1921. Les rapports sur les conditions de vie des captifs durant ces quelque deux cents ans révèlent que les cages exiguës, une atmosphère souvent insalubre, des températures inappropriées sont fatales à beaucoup d’entre eux.
Le jardin zoologique sera, du reste, le lieu d’observation des troubles du comportement dus à l’enfermement, comprenant automutilations et actes de désespoir conduisant souvent à la mort, car la privation de mouvement et de vie sociale doit être saisie plus largement comme la perte du monde propre, c’est-à-dire des conditions de toute existence.
L’illusion de la semi-liberté
Le public sait-il qu’aujourd’hui, près de 2000 animaux sont tués chaque année dans les zoos européens dans le cadre des programmes d’échanges entre établissements, qui veillent ainsi à éviter les problèmes de consanguinité ? C’est ce que les professionnels nomment « la gestion des collections ».
Les directeurs de la ménagerie voulurent très tôt offrir à leurs pensionnaires une vie moins confinée. Mais le décor crée surtout l’illusion pour les visiteurs d’une semi-liberté dans une brousse peinte sur les surfaces de fond. Aujourd’hui, le fait d’occuper les grands singes en dit long sur l’ennui forcément engendré par une vie captive. Les éthologues savent parfaitement que l’enrichissement des cages est un leurre et que la visibilité constante à laquelle les animaux sont contraints est une épreuve.
La cage s’oppose au territoire « non seulement parce qu’elle ne comporte aucune possibilité de fuite ou d’évasion, mais d’abord parce qu’elle interdit le passage de la visibilité à l’invisibilité, qui est comme la respiration du vivant », explique Jean-Christophe Bailly dans Le Parti pris des animaux (Christian Bourgois, 2013). Il y a fort à parier que, dans leur for intérieur, des chercheurs, des soigneurs, ou même des directeurs de zoos éprouvent un malaise devant les oiseaux en cage et les orangs-outans sous verre.
Des distinctions s’imposent
Y a-t-il lieu, pour le Muséum national d’histoire naturelle, de se vanter de posséder une femelle orang-outan, désormais bien connue du public, Nénette, « arrivée directement de Bornéo en 1972 » et, qui plus est, « mère de quatre fils » destinés à leur tour à alimenter des zoos ?
Selon les informations contradictoires fournies par le site du Muséum, 1 200 ou 600 animaux sont tenus en captivité à la ménagerie (dont 200 mammiffères et 300 oiseaux) sur un terrain de 5,5 hectares. A quelles fins ? A des fins essentiellement récréatives auprès d’un public par ailleurs constamment rassuré sur le « bien-être des animaux ». Or ce « bien-être », mot passe-partout dont on se garde bien de préciser le contenu dans les domaines où il est parfois scandaleusement employé, ne peut exister dans des conditions de captivité.
Toutefois des distinctions et des points de vue nuancés s’imposent s’agissant de certaines espèces de petite taille dont le monde propre est plus facile à recréer ou qui sont moins sentientes [capables de ressentir des émotions, la douleur, le bien-être, etc., et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie] que d’autres (insectes et araignées, par exemple). Il va cependant de soi que nombre d’animaux qui sont détenus à la ménagerie font partie d’espèces sentientes, dont les orangs-outans, d’ailleurs désormais rangés dans la famille des Hominidæ.
Le rôle scienti!que et pédagogique du Muséum national d’histoire naturelle peut-il s’accommoder d’une ménagerie de captifs qui véhicule auprès du public l’image d’animaux transformés, voire brisés, en raison de la piètre existence qui leur est offerte ? Nul ne peut plus croire à la mission de conservation et de réinsertion d’espèces à l’heure où les habitats disparaissent. La ménagerie du Jardin des plantes abîme l’image du Muséum national d’histoire naturelle, il est temps de planifier sa transformation.
Monique Bourdin, docteure vétérinaire comportementaliste, Ecole nationale vétérinaire de Maisons-Alfort ; Georges Chapouthier, neurobiologiste, directeur de recherche émérite, CNRS ; Sarah Jeannin, psychologue et docteure en éthologie, université Paris-Nanterre ; Pierre Jouventin, éthologue, ancien directeur de recherche, CNRS ; Michel Kreutzer, éthologue, professeur émérite, universitaire ; Raphaël Larrère, ancien directeur de recherche, Inrae ; Bruno Lassalle, vétérinaire, ancien directeur du Parc zoologique de Paris ; Philippe Léna, géographe, directeur de recherche émérite, IRD/MNHN ; Frédéric Lévy, éthologue, directeur de recherche, Inrae ; Sylvia Masson, vétérinaire, spécialisée en médecine du comportement ; Hélène Quach, biologiste, ingénieure de recherche, CNRS/MNHN ; Matthieu Ricard, biologiste, fondateur de Karuna-Shechen ; François Sarano, océanographe ; Isabelle Vieira, vétérinaire comportementaliste, chargée d’enseignement en éthologie dans les Ecoles nationales vétérinaires.
Le Monde, 4 juin