Les poissons d’eau douce illustrent l’escalade des impacts climatiques sur les espèces
Les changements climatiques menacent un nombre croissant d’espèces, du saumon atlantique aux tortues vertes, révèle la mise à jour de la Liste rouge de l’UICN des espèces menacées™ publiée aujourd’hui. Cette mise à jour, publiée lors de la COP28, Conférence des Nations Unies sur le climat, aux Émirats arabes unis, comprend également la première évaluation mondiale des poissons d’eau douce et met en évidence l’impact de l’exploitation forestière et du commerce illégaux sur l’acajou. Les efforts de conservation ont permis de sauver deux espèces d’antilopes au bord de l’extinction, mais l’évolution des conditions climatiques pourrait compromettre leur avenir.
La Liste rouge de l’UICN comprend désormais 157 190 espèces, dont 44 016 menacées d’extinction.
« Les changements climatiques menacent la diversité de la vie sur notre planète et affaiblissent la capacité de la nature à répondre aux besoins humains fondamentaux », a déclaré la Dr Grethel Aguilar, Directrice générale de l’UICN. « La présente mise à jour de la Liste rouge de l’UICN met en évidence les liens étroits entre les crises du climat et de la biodiversité, qui doivent être abordées conjointement. Le déclin des espèces est un exemple des ravages causés par les changements climatiques, auxquels nous avons le pouvoir de mettre un terme avec des mesures urgentes et ambitieuses pour maintenir le réchauffement en dessous de 1,5 degré Celsius ».
« La mise à jour d’aujourd’hui de la Liste rouge de l’UICN montre la puissance des efforts de conservation coordonnés aux niveaux local, national et international. Des histoires de réussite telles que celle de l’oryx algazelle montrent que la conversation fonctionne. Pour garantir que les résultats des actions de conservation soient durables, nous devons nous attaquer de manière décisive aux crises entrelacées du climat et de la biodiversité », a déclaré la Présidente de l’UICN, Razan Al Mubarak.
Statut des espèces de poissons d’eau douce dans le monde
La mise à jour publiée aujourd’hui marque l’achèvement de la première évaluation mondiale complète des espèces de poissons d’eau douce, révélant que 25% d’entre eux (3 086 des 14 898 espèces évaluées) sont menacés d’extinction. Au moins 17% des espèces de poissons d’eau douce menacées sont affectées par les changements climatiques, notamment la baisse de débit des cours d’eau, l’élévation du niveau de la mer entraînant la remontée d’eau salée dans les fleuves et les changements liés aux saisons. Cela aggrave les menaces dérivées de la pollution, qui affecte 57% des espèces de poissons d’eau douce menacées d’extinction, des barrages et de l’extraction d’eau, qui affectent 45% de ces espèces, de la surpêche, qui en menace 25%, et des espèces et maladies envahissantes, qui nuisent à 33% des poissons d’eau douce menacés. Par exemple, le Brycinus ferox du lac Turkana, une espèce de poisson économiquement importante au Kenya, est passé de la catégorie Préoccupation mineure à Vulnérable sur la Liste rouge de l’UICN, en raison de la surpêche, de la dégradation de son habitat du fait des changements climatiques et des barrages réduisant la quantité d’eau douce entrant dans le lac.
« Les poissons d’eau douce représentent plus de la moitié des espèces de poissons connues dans le monde, une diversité incompréhensible étant donné que les écosystèmes d’eau douce ne représentent que 1% des habitats aquatiques. Ces espèces diverses font partie intégrante des écosystèmes et sont essentielles à leur résilience. Elles sont vitales pour les milliards de personnes dépendant des écosystèmes d’eau douce et pour les millions de personnes tributaires de leurs pêches. S’assurer que les écosystèmes d’eau douce soient bien gérés, que leur écoulement ne soit pas entravé et qu’ils disposent de suffisamment d’eau, de bonne qualité, est essentiel pour mettre un terme au déclin des espèces et garantir la sécurité alimentaire, les moyens d’existence et les économies dans un monde climatiquement résilient », a déclaré Kathy Hughes, coprésidente du Groupe de spécialistes des poissons d’eau douce de la CSE-UICN.
Le saumon atlantique (Salmo salar) est passé de la catégorie Préoccupation mineure à Quasi menacé, de nouvelles preuves montrant que la population mondiale a diminué de 23% entre 2006 et 2020. Le saumon atlantique n’est aujourd’hui présent que dans une petite partie des rivières qu’il habitait il y a un siècle dans le nord de l’Europe et en Amérique du Nord, en raison des multiples menaces qu’il rencontre au cours de ses migrations sur de longues distances entre les habitats d’eau douce et marins. Les changements climatiques affectent toutes les étapes du cycle de vie du saumon atlantique, influençant le développement des jeunes saumons, réduisant la disponibilité des proies et facilitant l’expansion de l’aire de répartition d’espèces exotiques envahissantes. Des barrages et autres obstacles bloquent l’accès aux frayères et aux aires d’alimentation, tandis que la pollution de l’eau et la sédimentation, principalement dues à l’exploitation forestière et à l’agriculture, entraînent une mortalité plus élevée des jeunes saumons. L’hybridation avec des saumons échappés d’élevages menace de nombreuses populations sauvages et pourrait encore affaiblir leur capacité à s’adapter aux changements climatiques. La mortalité due aux poux du saumon (Lepeophtheirus salmonis), lié aux fermes salmonicoles, est également très préoccupante. Le saumon rose du Pacifique (Oncorhynchus gorbuscha), une espèce envahissante qui se propage rapidement dans le nord de l’Europe, constitue également une menace croissante.
Les tortues vertes du Pacifique Centre-Sud et du Pacifique Est menacées d’extinction
Les populations de tortues vertes (Chelonia mydas) du Pacifique Centre Sud et du Pacifique Est sont respectivement En danger d’extinction et Vulnérables, selon la mise à jour de la Liste rouge de l’UICN publiée aujourd’hui. Les changements climatiques constituent une menace croissante pour les tortues vertes tout au long de leur cycle de vie, car des températures plus élevées entraînent une baisse des éclosions, l’élévation du niveau de la mer menace les nids d’inondation et noie les jeunes tortues, et les herbiers marins dont les tortues vertes s’alimentent sont sensibles au réchauffement des océans et aux changements de courants dus à des conditions météorologiques extrêmes. Les captures accessoires accidentelles par la pêche industrielle et artisanale constituent une cause majeure de mortalité des tortues vertes dans ces régions. Les effectifs ont également diminué en raison des tortues vertes et des œufs prélevés pour la propre consommation des populations locales, ou pour les vendre sur les marchés.
Succès de conservation : l’oryx algazelle et l’antilope saïga
L’oryx algazelle (Oryx dammah) est passé de la catégorie Éteint à l’état sauvage à En voie de disparition sur la Liste rouge de l’UICN, grâce aux efforts de conservation ayant permis la réintroduction de l’espèce au Tchad. Autrefois commune dans la région africaine du Sahel, cette antilope a disparu à l’état sauvage à la fin des années 1990. Un braconnage de plus en plus intense à l’aide d’armes à feu et de véhicules à moteur modernes, ainsi que des sécheresses extrêmes chaque décennie, ont conduit à sa disparition au cours du XXe siècle. Aujourd’hui, les niveaux de braconnage augmentent principalement pour la subsistance et le commerce, dans un contexte de pauvreté et d’insécurité alimentaire élevées. À la suite d’un projet international à long terme, l’oryx algazelle a retrouvé aujourd’hui des populations stables à l’état sauvage, avec au moins 140 individus matures vivant librement dans la réserve faunique Ouadi Rimé-Ouadi Achim, au Tchad, en plus de 331 veaux nés dans la réserve jusqu’en 2021. Le plein soutien des autorités nationales et des communautés locales a joué un rôle essentiel dans le succès du projet, et la survie de l’espèce dépend de sa protection continue contre le braconnage. Les changements climatiques au Sahel restent une menace pour l’avenir de l’oryx algazelle.
Le statut du saïga (Saiga tatarica) sur la Liste rouge, une antilope présente au Kazakhstan, en Mongolie, en Russie et en Ouzbékistan, est passé d’En danger critique à Quasi menacé. La population de l’espèce au Kazakhstan, qui abrite 98% de tous les saïgas, a augmenté de 1 100% entre 2015 et 2022 pour atteindre 1,3 million en mai 2022. L’espèce est très sensible aux épidémies et a subi des événements de mortalité de masse en 2010, 2011, 2015 et 2016. Le taux de mortalité élevé en 2015 aurait été déclenché par des températures et une humidité anormalement élevées, des conditions qui devraient devenir plus fréquentes avec les changements climatiques. Combiné à une croissance du bétail, augmentant le risque de transmission de maladies, le risque de futures épidémies entraînant une mortalité importante reste élevé. Le braconnage pour les cornes et la viande a également provoqué d’importants déclins du saïga. L’amélioration du statut de l’espèce est le résultat de vastes mesures de lutte contre le braconnage, ainsi que de programmes d’éducation, de formation des fonctionnaires des douanes et des frontières et de lutte contre la vente illégale dans les pays consommateurs. Cette situation dépend entièrement de l’application continue de mesures anti-braconnage et de contrôles commerciaux.
« L’oryx algazelle est le quatrième grand mammifère à avoir été réintroduit avec succès dans la nature au cours des 100 dernières années. La réussite de ce projet et la récupération spectaculaire des populations de saïga sont le résultat d’une vision stratégique, d’un engagement et d’investissements gouvernementaux solides, du soutien technique d’organisations non gouvernementales et d’experts scientifiques, et d’une collaboration avec les communautés locales », a déclaré le Dr David Mallon, Coprésident du Groupe de spécialistes des antilopes de la CSE-UICN.
La demande continue d’acajou à grandes feuilles constitue une menace
L’acajou à grandes feuilles (Swietenia macrophylla), l’un des arbres commerciaux les plus recherchés au monde, est passé de la catégorie Vulnérable à En danger sur la Liste rouge de l’UICN. De nouvelles informations ont révélé que les effectifs de l’espèce ont diminué d’au moins 60% au cours des 180 dernières années en Amérique centrale et en Amérique du Sud, en raison de l’exploitation non durable de ce bois précieux dans la nature et de l’empiètement agricole et urbain dans les forêts tropicales où il pousse. L’acajou continue d’être très recherché aux États-Unis, en Europe occidentale et en Chine pour la fabrication de meubles, de placages, d’éléments décoratifs et ornementaux et d’instruments de musique de haute qualité. Bien que l’espèce soit protégée en vertu des législations nationales et internationale et malgré les efforts concertés de tous les États de son aire de répartition, l’exploitation forestière et le commerce illégaux se poursuivent en raison de cette forte demande. Il est urgent de disposer de plus de ressources pour gérer les aires protégées et lutter contre le commerce illégal du bois. Les modèles montrent que certains habitats actuels de l’acajou à grandes feuilles seront bientôt inadaptés à cause des changements climatiques.
Citations de référence :
« La mise à jour de cette année voit des milliers d’arbres ajoutés à la Liste rouge de l’UICN, dont beaucoup sont des espèces commerciales. Ces arbres sont souvent des espèces clés dans les forêts et importants pour les économies nationales et locales. Cependant, ils sont souvent menacés d’extinction par une exploitation non durable. Il est essentiel que nous soutenions les jardins botaniques pour protéger et propager les espèces de bois menacées dans les collections ex situ et fournir plus de ressources pour prendre des décisions éclairées sur leur utilisation et leur commerce durables », a déclaré Megan Barstow, responsable de la conservation chez Botanic Gardens Conservation International.
« Les données sur la biodiversité sont le prisme à travers lequel nous observons le récit urgent de la conservation », a déclaré le Dr Sean T. O’Brien, président et directeur général de Nature Serve.O’Brien a ajouté : « La mise à jour de la Liste rouge publiée aujourd’hui met en lumière le sort des poissons d’eau douce, l’un des nombreux groupes confrontés à de multiples menaces intensifiées par les changements climatiques. Pourtant, face à la complexité, nous possédons les outils pour agir. Utilisons nos connaissances et nos ressources pour préserver la biodiversité pour les générations à venir ».
« Les crises du climat et de la biodiversité sont les deux faces d’une même médaille. D’une part, les changements climatiques sont l’un des moteurs du déclin documenté des animaux, des champignons et des plantes, mais en même temps, la résilience de la nature par la récupération et la régénération des espèces et des écosystèmes est notre allié le plus puissant pour lutter contre l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cette mise à jour de la Liste rouge illustre à la fois les mécanismes climatiques à l’origine du déclin des poissons d’eau douce et des tortues de mer, ainsi que le rétablissement de l’oryx algazelle et du saïga grâce à des mesures de conservation proactives », a déclaré le Dr Jon Paul Rodríguez, président de la Commission de l’UICN pour la sauvegarde des espèces.
« Il est choquant qu’un quart de tous les poissons d’eau douce soient désormais menacés d’extinction et que les changements climatiques soient désormais reconnus comme un facteur contribuant de manière significative à leur risque d’extinction, ce qui a également été récemment signalé comme une menace émergente sérieuse pour les amphibiens », a déclaré le Dr Barney Long, Directeur principal des stratégies de conservation de Re:wild. « Il est essentiel que nous protégions mieux nos systèmes d’eau douce, car ils abritent non seulement une faune précieuse et irremplaçable, mais fournissent également aux humains de nombreux services que seul le monde naturel peut fournir ».
« Cette mise à jour inclue les évaluations de plus de 80 espèces végétales connues uniquement en Éthiopie et constitue le premier résultat d’une collaboration entre l’Université d’Addis-Abeba (AUU, selon ses sigles en anglais), l’Institut éthiopien de la biodiversité et les Jardins botaniques royaux Kew. Financée par le Centre mondial britannique pour la biodiversité et le climat (GCBC, selon ses sigles en anglais), elle souligne l’importance des partenariats internationaux dans la lutte contre la crise de la biodiversité », a déclaré Jack Plummer, coordinateur des évaluations de plantes au Jardins botaniques royaux Kew.
« Il s’agit d’une étape importante vers la réalisation d’évaluations pour toutes les espèces végétales endémiques de l’Éthiopie, soit plus de 450 espèces connues à ce jour. Les espèces menacées mises en lumière ici comprennent Convolvulus vollesenii, une plante rampante à fleurs bleues brillantes, et Cladostigma nigistiae, une plante grimpante à fleurs blanches et au feuillage argenté étonnant », a déclaré le Professeur Sebsebe Demissew, professeur de systématique végétale et biodiversité à l’Université d’Addis-Abeba, qui a coécrit bon nombre de ces évaluations pour la Liste rouge de l’UICN.
« Chez Senckenberg, nous sommes honorés de devenir partenaire de la Liste rouge mondiale de l’UICN. À l’ère de la perte de biodiversité de l’Anthropocène, il est important que les musées d’histoire naturelle et les taxonomistes en activité jouent un rôle important non seulement pour documenter la biodiversité mais aussi pour protéger les espèces », a déclaré la Professeur Julia Sigwart, Présidente de l’Autorité de la Liste rouge pour les invertébrés marins et Cheffe de Malacologie à l’Institut de recherche Senckenberg et au Musée de Francfort.
« Les progrès remarquables réalisés avec l’Oryx algazelle au Tchad ont montré que les conditions locales dans leur paysage d’origine sont actuellement très favorables et la réponse des communautés locales a également été particulièrement positive », a déclaré Tim Wacher, Biologiste principal de la conservation à la ZSL, qui a soutenu les efforts de suivi post-réintroductions. « Ces résultats sont le fruit d’efforts internationaux prolongés de conservation de l’espèce, y compris l’élevage d’oryx pour la réintroduction dans le propre zoo de conservation de la ZSL, couplés à la vision et aux ressources nécessaires pour mettre en œuvre une réintroduction rapide et à grande échelle une fois la préparation minutieuse et approfondie terminée ».
« L’argent récolté par les supports de WildFish a permis cette réévaluation des stocks de saumon atlantique à travers le monde. Le résultat pour les populations britanniques, même s’il n’est pas surprenant, est très sombre. Il faut absolument que le gouvernement britannique donne aux régulateurs environnementaux le mandat et les ressources nécessaires pour répondre à la myriade de problèmes qui menacent la survie du saumon atlantique. L’alternative est que nous risquons de perdre complètement l’espèce dans nos eaux », a déclaré Nick Measham, Directeur exécutif de WildFish.
SOURCE : UICN