Une étude en vie réelle montre que les zones éclairées la nuit comptent moitié moins de chenilles de papillons de nuit que celles qui sont loin de la lumière.
Moitié moins de lépidoptères sous les lampadaires : voilà ce que met en évidence une étude de terrain publiée fin août par des chercheurs britanniques, dans Science Advances. Elle confirme qu’à côté du dérèglement climatique et de la perte des habitats, la pollution lumineuse contribue au déclin massif des populations d’insectes, désormais largement documenté.
L’intérêt de cette étude est qu’elle mesure« directement ce qu’il se passe dans la vie réelle, en bas de chez nous », souligne Colin Fontaine, chercheur CNRS au Centre d’écologie et des sciences de la conservation du Muséum national d’histoire naturelle, qui n’a pas participé à ces travaux. La méthodologie diffère en effet de celle de la plupart des études menées jusqu’à présent sur la pollution lumineuse et les insectes, qui sont « expérimentales » (c’est-à-dire qu’elles sont réalisées « en cage, avec des lampes qui sont installées ») et qui évaluent plutôt les changements de comportement, relate-t-il.
Les résultats de l’équipe britannique « montrent de façon claire qu’il y a un effet assez fort [de l’éclairage nocturne] sur la dynamique des populations, sur la quantité d’insectes à un endroit donné », souligne l’écologue du Muséum.
Zones moins prisées
Pour conduire cette étude, Douglas Boyes, du Centre britannique d’écologie et d’hydrologie à Wallingford, et ses collègues ont parcouru la vallée de la Tamise, dans le sud de l’Angleterre, pour identifier des zones caractérisées par un habitat comparable et ne différant que par la présence ou non d’un éclairage de nuit. Sur les quelque 500 parcelles présélectionnées, les chercheurs ont conservé 26 paires de sites, situés le plus souvent dans des zones rurales.
A l’aide notamment de filets fauchoirs, ils y ont, entre 2018 et 2020, collecté et comptabilisé les chenilles de papillons de nuit présentes dans les haies et les parterres.
Ces lépidoptères sont « très divers du point de vue évolutif et écologique » et comptent « plusieurs milliers d’espèces en Europe », ce qui laisse penser qu’ils sont « assez représentatifs des insectes nocturnes »,assure Douglas Boyes.
Mais pourquoi travailler sur les chenilles plutôt que sur les adultes ? « Elles ne se déplacent pas beaucoup au cours de leur existence, ce qui signifie que, lorsqu’on les prélève à un instant donné, on est assuré de mesurer des effets locaux », fait valoir le chercheur.
Les résultats, qui reposent sur la collecte de plusieurs milliers de chenilles, révèlent que les haies des zones éclairées de nuit comptent 47 % d’insectes en moins par rapport à celles qui sont éloignées de la lumière. Au niveau des parterres d’herbe, les effectifs sont réduits d’un tiers là où il y a un éclairage nocturne. Pour les chercheurs, il s’agit ici d’un effet à long terme de la pollution lumineuse sur les populations d’insectes – les lampadaires étant présents depuis au moins cinq ans, souvent bien plus –, qui pourrait notamment s’expliquer par le fait que ces zones seraient moins prisées des adultes lors de la ponte.
Mais ils ont aussi constaté un effet à plus court terme de l’éclairage nocturne sur le comportement des chenilles. En plaçant un dispositif d’éclairage sur des zones précédemment dans l’obscurité, ils ont observé que les chenilles avaient moins tendance à grimper le long des tiges, la nuit, pour s’alimenter.
Tamisage des lumières
Pour les chercheurs, il ne fait pas de doute que l’effet de la pollution lumineuse sur les papillons de nuit se répercute en cascade sur les écosystèmes, puisque ces insectes, qui participent à la pollinisation, servent aussi de base à l’alimentation des vertébrés – oiseaux et chauve-souris, par exemple – et des invertébrés, comme les araignées et les guêpes.
Un autre enseignement de cette étude est qu’un éclairage par LED, de plus en plus utilisé pour l’éclairage nocturne, est encore plus délétère pour les populations de papillons de nuit que les lampes à sodium. Ceci est « probablement lié au fait que, contrairement aux lampes à sodium, la lumière émise par les LED est très proche de la lumière du jour », souligne Douglas Boyes. Pour le chercheur britannique, un bon compromis serait de « minimiser ces impacts tout en maintenant les bénéfices de l’éclairage pour les populations humaines, par exemple en tamisant les lumières aux horaires où il y a le moins de passage ou encore en posant des filtres pour bloquer les longueurs d’ondes les plus dangereuses pour la faune sauvage ».