C’est une hécatombe. Déjà largement connue, mais qui continue. En trente ans, les populations d’oiseaux des milieux agricoles ont chuté de 29,5 %, et celles des oiseaux vivant en milieu urbain ont diminué de 27,6 %. Le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), l’Office français de la biodiversité (OFB) et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) dressent le bilan, lundi 31 mai, de trente ans de suivi des oiseaux communs en France. Un programme lancé en 1989 et dont le protocole a été révisé il y a vingt ans, en 2001.
A l’heure de tirer une nouvelle fois la sonnette d’alarme, scientifiques et responsables d’association disent leur tristesse et leur frustration à répéter sans cesse la même chose, sans que rien ne change.
« Malheureusement, nous n’avons pas eu de surprise à l’heure de dresser le bilan, regrette Benoît Fontaine, qui coordonne le programme Suivi temporel des oiseaux communs (STOC) pour le Muséum et l’OFB. On voit chaque année que les populations d’oiseaux spécialistes, c’est-à-dire qui se débrouillent bien dans un type d’habitat particulier, s’effondrent. C’est désolant de se dire que les alertes ou les mesures qui ont été prises ne suffisent pas. » Frédéric Jiguet, professeur au Muséum et ornithologue, parle d’un « immense sentiment d’impuissance et d’inefficacité ». « C’est un vrai constat d’échec, de continuer à communiquer sur le déclin des moineaux, des linottes, des hirondelles », dit-il.
« Banalisation et uniformisation de la biodiversité »
Sur 123 espèces parmi les plus communes en France, 43 étaient en déclin en 2019, dont le chardonneret élégant, la tourterelle des bois ou l’hirondelle de fenêtre. Parmi les oiseaux des champs les plus affectés, le pipit farlouse est l’une des espèces ayant connu la baisse la plus sévère depuis 2001 : deux tiers de ses effectifs ont disparu.
Au contraire, 32 espèces étaient en expansion – les autres ayant connu des évolutions stables ou incertaines. Le pigeon ramier, par exemple, a vu ses effectifs doubler depuis 2001 et est présent partout, en ville, en montagne ou encore en forêt. La population de mésanges charbonnières, qui peut s’installer aussi bien dans les centres urbains que dans la garrigue méditerranéenne, a augmenté de 7 % en vingt ans.
« Ces oiseaux généralistes, c’est-à-dire qui s’adaptent à tout type de milieu, ont prospéré en prenant la place des oiseaux en déclin,explique Caroline Moussy, responsable des enquêtes avifaune à la LPO. Cela contribue à une banalisation et à une uniformisation de la biodiversité. » Depuis 1989, les espèces généralistes ont connu une augmentation de 19,4 %, qui marque toutefois le pas depuis une dizaine d’années. Dans les forêts, les populations d’oiseaux ont diminué de 10 %, mais se sont stabilisées depuis les années 2000, après avoir beaucoup décliné.
Plusieurs hypothèses
Si le programme de suivi des oiseaux communs est un baromètre qui permet de mesurer des tendances, il n’a pas vocation à déterminer l’origine de ces évolutions. Mais au cours des dernières décennies, de nombreux travaux scientifiques ont cherché à expliquer ces déclins, toujours liés à une pluralité de facteurs. L’agriculture intensive est ainsi désignée comme en grande partie responsable de l’effondrement des oiseaux des champs.
« Les pesticides, et notamment les néonicotinoïdes, sont l’un des principaux problèmes, affirme Benoît Fontaine. Ils ont un impact direct sur les oiseaux en les empoisonnant, et un impact indirect en réduisant leurs ressources. » Le 21 mai, la LPO a assigné en justice les deux principaux producteurs en France d’imidaclopride, un insecticide néonicotinoïde, pour faire reconnaître leur responsabilité dans ce déclin. Outre l’usage de produits phytosanitaires, l’uniformisation des paysages, avec la disparition des haies ou des mares, a également entraîné une perte d’habitats.
Plusieurs hypothèses sont également avancées pour expliquer la baisse d’abondance des oiseaux vivant en milieu urbain : la diminution des ressources liée à l’artificialisation des sols, l’impact de la pollution ou encore la transformation du bâti. « Les oiseaux des villes sont souvent des animaux qui vivaient auparavant dans des falaises ou des cavités et qui ont trouvé, dans les bâtiments, de nouveaux endroits où nicher, détaille Caroline Moussy. Mais avec la construction d’immeubles ou de maisons de plus en plus hermétiques, ces trous disparaissent. »
L’avifaune, présente sur l’ensemble du territoire, dans tous types de milieux et qui est particulièrement bien étudiée, est considérée comme un bon indicateur de l’état de santé de la biodiversité. « Quand les oiseaux sont en nombre, c’est l’ensemble du vivant qui s’épanouit. Quand ils disparaissent, c’est la biodiversité qui s’estompe », résume Allain Bougrain-Dubourg, le président de la LPO.
« Courage et détermination »
Aujourd’hui, les différents acteurs appellent de nouveau les responsables politiques à agir pour enrayer cette érosion, alors que de difficiles négociations sont en cours pour définir la future politique agricole commune (PAC) et que la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité devrait être présentée à l’automne. Inverser la courbe nécessite de changer de paradigme et de modifier en profondeur les modes de vie, de consommation et de production. « Ce n’est plus au niveau individuel que les choses se jouent, martèle Caroline Moussy. On parle d’un problème systémique, il faut que des politiques publiques ambitieuses soient mises en œuvre. »
« Nous avons réussi à protéger des espèces emblématiques comme les faucons pèlerins ou les cigognes blanches, dont il ne restait que quelques couples dans les années 1970,ajoute Allain Bougrain-Dubourg. Mais face au déclin du vivant de proximité, des “sans-grade”, il faut agir de façon totalement différente. Il faut sauvegarder tous les milieux simultanément, ce qui est beaucoup plus difficile. On sait ce qu’il faut faire, mais cela demande du courage et de la détermination. »
Derrière ce constat de la disparition des oiseaux communs se niche, malgré tout, un message positif : celui du succès des sciences participatives. Car ces connaissances scientifiques reposent sur l’engagement de volontaires, en grande majorité bénévoles. Chaque année, lors de la période de nidification, ils notent à deux reprises tous les oiseaux qu’ils voient et entendent en cinq minutes. Leur site d’observation est un carré de 2 kilomètres sur 2, attribué de façon aléatoire dans un rayon de 10 kilomètres autour de chez eux, ce qui garantit un échantillonnage représentatif du paysage français.
Ce sont les données amassées par ces citoyens qui sont ensuite traitées et analysées par les chercheurs du Muséum. Depuis 2001, plus de 2 000 observateurs se sont mobilisés et près de 2 900 « carrés » ont été créés. « Ce suivi est une démarche scientifique basée sur un protocole standardisé, ce qui permet d’avoir des données comparables dans l’espace et dans le temps, souligne Caroline Moussy. L’engagement des bénévoles est fondamental : sans ces passionnés qui donnent du temps pour faire ces comptages et contribuer à la préservation des oiseaux, nous n’aurions pas ce type de suivi. »