La chasse à l’ours a commencé. Annoncée le 29 juillet par les autorités roumaines, elle n’est pas destinée à supprimer les 6 700 plantigrades qui vivent dans les Carpates, mais à prélever leur ADN. La Roumanie possède le plus grand nombre d’ours en Europe. Selon les statistiques de l’association World Wildlife Fund (WWF), sur les 18 000 ours qui vivent en Europe, presque 40 % se trouvent en Roumanie. Mais si leur nombre peut être estimé avec une bonne précision, il est difficile d’obtenir une radiographie exacte de ce trésor de la faune européenne. Combien de mâles et de femelles ? Quel âge ont-ils ? Comment se reproduisent-ils ? Quel est leur état de santé ? Combien d’entre eux descendent dans les villages pour se procurer de la nourriture, et combien restent dans leur habitat naturel ?
Un code-barres par plantigrade
Autant de questions auxquelles les nouvelles technologies chercheront à apporter une réponse, à travers l’empreinte génétique que l’on obtient en analysant l’ADN présent dans les poils et les fèces. « L’empreinte génétique est la méthode la plus fiable pour estimer la population des ours », s’est enthousiasmé le 29 juillet Barna Tanczos, le ministre de l’environnement, des eaux et des forêts. C’est la première fois dans le monde qu’une campagne de prélèvement d’une telle ampleur sera menée sur les ours. « Chaque preuve génétique aura un code-barres qui permettra de numériser les informations obtenues sur une base de données ADN », a précisé le ministre.
L’Union européenne financera ce projet à hauteur de 10 millions d’euros. Outre cette radiographie complète de la population ursine, le gouvernement prévoit l’ouverture d’un centre de soins pour les plantigrades malades, dont le coût est estimé à 2 millions d’euros. Plus de 60 hectares de forêts ont été réservés à ce projet à proximité de Brasov, ville située au pied des Carpates, dans le centre du pays.
Cadre juridique protecteur
Ces dernières années, de plus en plus d’ours ont pris l’habitude de descendre dans les villages et les villes à la recherche de nourriture. Le nombre des attaques a grimpé, faisant souvent des victimes. Dans le pays de Dracula, l’ours est le roi des forêts et il s’est multiplié à toute vitesse, profitant d’un cadre juridique qui le rend intouchable. En 2015, la Roumanie s’est dotée d’une nouvelle loi pour mettre en accord sa législation avec la directive européenne « Habitats », qui vise à protéger davantage la faune sauvage. La chasse à l’ours a été interdite et les braconniers risquent des peines de prison lourdes.
Pour les ours qui pénétreraient dans les zones habitées, la loi prévoit qu’il faut appeler un numéro d’urgence, et seules les autorités de l’Etat sont autorisées à intervenir. Le but est de faire peur à l’animal sans mettre sa vie en danger. A Bodoc, village situé au centre du pays, très fréquenté par les plantigrades, « les ours sont partout, ils entrent dans les restaurants et dans les hôtels, et ils ont appris à ouvrir et à vider les frigidaires. Ils mangent tout ce qu’ils trouvent, y compris la viande congelée », raconte le maire, Fodor Istvan. Dans ce département, le nombre d’ours a grimpé de 50 % en cinq ans, de 1 200 à 1 800 spécimens. « On appelle les gendarmes qui essaient de leur faire peur avec des pétards, mais ça ne marche pas à tous les coups. La seule solution est d’autoriser leur chasse », plaide l’édile.
Identifier les spécimens qui posent problème
Mais chasser l’ours n’est pas une mince affaire. Seuls les ours qui attaquent l’homme peuvent être abattus, et les chasseurs doivent attendre qu’un ordre soit signé par le ministre de l’environnement, après feu vert de l’Académie roumaine. Une telle procédure fait de leur abattage une mission impossible. En 2020, seuls vingt ours ont été abattus. Le gouvernement s’apprête à approuver une nouvelle ordonnance pour faciliter la chasse à l’ours à partir de la rentrée. « Nous n’avons pas été élus par les ours mais par les hommes, a déclaré le vice-premier ministre Kelemen Hunor. Nous avons besoin de trouver un équilibre dans la gestion de ce problème. » Quant aux associations de défense des animaux, elles considèrent que c’est la responsabilité de l’homme d’éviter le contact avec l’ours. Elles accusent le gouvernement de céder face à la pression des paysans et lui demandent de continuer à respecter la directive européenne à ce sujet.
Avec la vaste campagne de prélèvement d’ADN, l’objectif est de calmer les esprits. Les autorités entendent localiser les ours qui ont pris l’habitude de se servir dans les maisons, ainsi que ceux qui attaquent l’homme, et d’isoler les spécimens qui posent problème. L’ours restera le roi des Carpates, mais ses contacts avec l’homme seront limités.