« Le concept minimal de mort »
Le concept de mort n’est ici pas à entendre dans son sens le plus commun. Dans son acceptation minimale, prêter le concept de mort à un animal supposerait qu’il reconnaisse sa proie dans un état inhabituel (immobile, sans réaction) ne pouvant être réversible (signalé par l’odeur de pourriture, les sécrétions sanguines…) par rapport à un animal qui serait inconscient ou en train de faire la sieste. Une capacité de conceptualisation qui ne demanderait à priori, peu de « complexité cognitive » et qui selon une étude serait largement répandu dans la nature, précise l’auteure.
L’opossum de virginie serait le parfait exemple qui permettrait de comprendre comment des prédateurs perçoivent la mort. Ce petit mammifère nocturne vivant aux Etats-Unis et au Mexique est capable d’adopter un comportement des plus étonnants et parmi les plus complexes nommé par les scientifiques : la thanatose. Lorsqu’un prédateur l’approche, il simule la mort dans l’idée de le tromper. Ses yeux et sa bouche sont grands ouvert, il adopte une position recroquevillée, sa langue est pendante, il urine, défèque et ses fonctions vitales sont également ralenties, énumère l’auteure. Une mise en scène qui se distingue de la simple immobilité du corps adoptée par certaines espèces. Plus complexe, la thanatose s’attacherait quant à elle, à une pure imitation de ce à quoi ressemble un cadavre étalé sur le sol. Une distinction pour le moins importante puisqu’elle pose aux scientifiques la question des raisons évolutives vers ce type de comportement plus coûteux et plus complexe, indique Susana Monsó.
« Les animaux feignent la mort »
Diverses hypothèses existantes tenteraient alors d’expliquer l’évolution vers un tel comportement complexe. La fonction de thanatose pourrait biaiser la reconnaissance de l’attaquant en suscitant chez lui du dégout, en sollicitant sa nécrophobie – une tendance naturelle à la répulsion face aux cadavres – ou bien en diminuant son attention. Mais aucune de ces pistes explicatives ne semble suffisante pour justifier la complexité d’une telle mise en scène au regard d’une simple immobilité du corps de l’animal – moins coûteuse.
Cependant, pour la philosophe, la question n’est pas de savoir quelle théorie scientifique permet de justifier l’évolution des comportements de survie vers la thanatose. Le fait est que certaines proies » feignent la mort » et cela nous renseigne un peu plus sur l’esprit des prédateurs. Sur l’esprit des prédateurs seulement car il n’y a pas de raison de penser que les proies aient une capacité à se représenter la mort. Puisqu’en réalité, rien ne permet de supposer que l’opossum de Virginie, comme d’autres animaux d’ailleurs, agissent intentionnellement pour tromper leurs prédateurs. Au contraire nous dit l’auteure, « il semble s’agir d’un comportement génétiquement héréditaire qui ne nécessite aucun apprentissage et qui se déclenche automatiquement lors de la détection de certains stimuli. »
Repenser « notre grande particularité »
En revanche, la thanatose permettrait de déceler l’existence du concept de mort chez les prédateurs. Ce constat serait d’ailleurs appuyé par une étude que ceux se nourrissant principalement d’une ou quelques espèces se feraient moins avoir par les « coups de théâtre » répétés de leurs proies favorites. Bien au contraire, le prédateur aux habitudes alimentaires moins particulières – qualifié par les scientifiques de généraliste -, serait plus enclin à se faire duper. Pourquoi ? Car davantage confronté à des bêtes inconnues, il est peu susceptible d’être familier à l’égard de leurs combines. Ainsi, c’est parce qu’il existe une idée préexistante – un concept – de ce à quoi ressemble à priori un animal mort chez le prédateur généraliste que celui-ci se trouvera confus, incapable de cerner l’illusion d’une mort véritable. A cet effet, l’auteur dira que « ce n’est qu’avec un concept qu’un prédateur peut confondre mort un animal qu’il n’a jamais rencontré auparavant « .
L’idée selon laquelle l’Homme est le seul capable d’appréhender la notion de mort proviendrait d’une considération trop complexe de son concept, prévient la philosophe des sciences. Le phénomène de thanatose révèle que cette capacité à conceptualiser la mort – minimale soit-elle – est largement présente dans le monde animal. Une réalité qui selon Susana Monsó devrait nous pousser « à repenser l’exceptionnalisme humain et le manque de respect pour le monde naturel qui l’accompagne »
Source Sciences et Avenir