Le Grand Cormoran est un oiseau piscivore protégé au niveau européen au titre de la Directive du 30 novembre 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages. Toutefois, des dérogations de destruction de la sous-espèce continentale (Phalacrocorax carbo sinensis) sont possibles pour la protection de la faune et de la flore, par exemple si la prédation des cormorans nuit au maintien de population d’espèces de poissons « patrimoniales » supposées menacées ; ou pour prévenir de graves dommages aux piscicultures en étang.
L’obtention de telles dérogations reste soumise à de strictes conditions. En particulier, l’État ne peut pas autoriser le tir en eaux libres (cours d’eau et plans d’eau) des grands cormorans sans avoir au préalable démontré la réalité de l’impact à long terme sur les populations de poissons concernés, et le fait qu’aucune autre solution efficace n’existe. Parce que ces conditions n’étaient pas réunies, la LPO a fait annuler des arrêtés de destruction de cormorans dans une vingtaine de départements entre 2019 et 2022.
Face à ce constat, l’arrêté ministériel du 19 septembre 2022 n’avait pour la première fois pas autorisé la destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025, mais seulement à proximité des piscicultures. La LPO s’était réjouie de cette décision, tout en regrettant que les méthodes d’effarouchement efficaces et non létales pour éloigner les cormorans n’étaient pas privilégiées afin de limiter leurs dégâts dans les exploitations piscicoles.
Insatisfaites de cette décision, des associations de pêche avaient alors saisi en référé le Conseil d’État pour demander la suspension de l’arrêté ministériel en tant qu’il mettait en danger certaines espèces de poissons menacées ou protégées. En l’absence d’éléments démontrant ce fait, le juge des référés du Conseil d’Etat avait rejeté la requête des pêcheurs le 10 novembre 2022.
L’audience sur le fond s’est tenue le 14 juin dernier et le Conseil d’Etat a cette fois prononcé ce 8 juillet l’annulation de l’arrêté ministériel, et ordonné l’édiction d’un arrêté modificatif comprenant des plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025. Tout en reconnaissant que le Grand cormoran n’était pas le facteur principal expliquant le mauvais état de conservation de certaines espèces de poisson, le Conseil d’Etat a considéré que la pression de prédation qu’il exerce apparaît susceptible, dans certains contextes particuliers, de contribuer à le dégrader davantage.
Pour justifier sa décision, le Conseil d’Etat s’est notamment appuyé sur des études complémentaires récemment réalisées dans 4 fédérations départementales de pêche, aux résultats pourtant plus que contrastés. Seule une étude conclut à un impact supposé sur les populations d’Ombre commun dans l’Aude. Or cette espèce de salmonidé a été introduite à des fins de pêche sportive dans ce département, bien loin de son aire de distribution naturelle des bassins du Rhin, du Rhône et de la Loire.
La LPO prend acte de la décision du Conseil d’Etat et sera particulièrement attentive à la méthodologie qui sera employée pour fixer les quotas de destruction de grands cormorans en eaux libres à l’échelle de chaque département. Par ailleurs, tenter de rendre un oiseau responsable du déclin de certaines espèces de poissons ne doit pas en masquer les causes véritables : pollution et dégradation de la qualité des eaux, barrages et discontinuité écologique, réchauffement climatique et sécheresses meurtrières. L’enjeu n’est pas de sauvegarder le loisir de quelques pêcheurs mais bien de préserver la biodiversité.
Photo : Depositphotos : cormoran