TRIBUNE
Malgré quelques avancées notables, notamment dans la volonté de mieux connaître les pollinisateurs, le nouveau plan visant à les protéger ne contient aucun objectif chiffré de réduction ni d’arrêt d’usage des pesticides, ni de la recherche de solution alternative, s’indigne dans une tribune au « Monde » un collectif de chercheurs réunis au sein du groupement de recherche Pollinéco.
Tribune. La conservation des insectes pollinisateurs est centrale pour l’humanité, non seulement pour la conservation de la biodiversité, mais aussi pour notre santé, notre alimentation, notre cadre de vie et notre éducation à l’environnement. La Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a rappelé en 2016 l’importance cruciale de la pollinisation en alertant sur le déclin alarmant des pollinisateurs.
Pour sa part, la France a déployé un plan national d’actions (PNA, 2016-2020) « France, terre de pollinisateurs », porté par le seul ministère de l’environnement et faiblement doté. Au moment de renouveler ce PNA, le gouvernement a préféré élaborer un plan « pollinisateurs » (2022-2026) en le faisant coporter par les ministères de l’environnement et de l’agriculture.
Lors du congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui s’est tenu à Marseille du 3 au 11 septembre 2021, le président de la République a souligné sa volonté d’une sortie accélérée des pesticides et d’un soutien sur les alternatives à leur usage dans les cinq prochaines années. L’avenir semblait donc prometteur.
Un plan « pollinisateurs » décevant
Cependant, malgré plusieurs avancées notables, ce plan « pollinisateurs » est plus que décevant sur la question des pesticides. Nous sommes un groupement fédéré de recherche qui rassemble la quasi-totalité des chercheurs français et francophones spécialistes de la pollinisation et des pollinisateurs (près de 200 chercheurs et [post-]doctorants).
Nous sommes unanimes pour constater le rôle central des pesticides dans la disparition des pollinisateurs. Si certains aspects de ce nouveau plan « pollinisateurs » sont très positifs, nous sommes indignés par son absence d’ambition de réduction/arrêt des pesticides. D’une part, ce plan montre des avancées : jamais en France, la connaissance et la conservation des pollinisateurs n’avaient reçu autant de soutien (nos voisins européens se sont déjà mobilisés depuis plusieurs années).
La France est l’un des derniers pays d’Europe de l’Ouest (avec le Portugal, l’Autriche et l’Islande) sans liste rouge nationale sur les abeilles sauvages. Ce plan annonce donc enfin l’élaboration de telles listes pour les centaines d’espèces d’abeilles sauvages, de syrphes et d’autres pollinisateurs, ce que nous proposions depuis plusieurs années.
L’impact négatif des pesticides
Les recherches sur les nombreux pollinisateurs sauvages et sur l’abeille domestique seront renforcées en milieu agricole mais aussi en ville et dans les aires protégées notamment. Les agents pathogènes des pollinisateurs seront étudiés, afin de mieux comprendre leur transfert entre espèces et de proposer des solutions opérationnelles pour la santé des pollinisateurs.
L’ensemble de ces résultats scientifiques permettront de définir et de détailler les trajectoires de la nécessaire transition écologique notamment en définissant des pratiques plus vertueuses pour chaque filière agricole (arboriculture, viticulture, maraîchage et grandes cultures).
Nous sommes cependant indignés, car ce progrès masque une faiblesse très inquiétante sur la question des pesticides (dont les néonicotinoïdes). Leur impact fortement négatif sur l’abondance et la diversité des pollinisateurs est largement démontré scientifiquement. Même certains produits inoffensifs (en laboratoire) pour les pollinisateurs, comme des herbicides, peuvent devenir létaux par « effet cocktail » avec d’autres produits dits « inoffensifs ».
Un lien avec de nombreuses maladies
À tout le moins, ils réduisent les ressources alimentaires dont les pollinisateurs dépendent. De plus, ces produits ne restent pas dans les champs. Ils contaminent plantes de bordures et insectes, puis insectivores (oiseaux, chauves-souris, amphibiens), polluent les sols avec des temps de rémanence de plusieurs dizaines d’années, dévastent la faune du sol et polluent les eaux de ruissellement puis les rivières, fleuves, mers et océans menaçant l’accès en eau potable.
Ils se retrouvent dans l’air et les nappes phréatiques et, donc, inévitablement, dans les corps des humains et des animaux domestiques comme sauvages. Un récent rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a relevé les seuils de présomption de liens forts entre pesticides et un florilège morbide de maladies humaines (cancers, maladies neurodégénératives, etc.).
C’est justement parce que le plan national d’actions « France, terre de pollinisateurs » n’avait pas la main sur la question décisive des pesticides que le gouvernement a souhaité une collaboration étroite avec le ministère de l’agriculture pour établir ce plan « pollinisateurs ».
L’échec retentissant du plan Ecophyto
Résultat : malgré les annonces, ce plan ne présente que quelques actions timides mais n’a aucun objectif chiffré de réduction ni d’arrêt d’usage des pesticides à court ou même à moyen terme, aucun soutien clair aux recherches de solutions alternatives à ces usages nocifs et aucune avancée sur la question brûlante des distances entre habitations et zones d’épandage.
Seule action législative, l’« arrêté abeilles » associé à ce plan qui contraint les agriculteurs à les épandre de nuit sans véritablement épargner les pollinisateurs ni la biodiversité du fait de la diffusion inéluctable de ces molécules. Il faut rappeler ici l’échec retentissant du plan Ecophyto pourtant doté de plusieurs centaines de millions d’euros mais se soldant par une augmentation de 50 % d’usage des pesticides entre 2008 et 2018, et le plan Ecophyto II n’ayant pour objectif que de ramener cet usage au niveau de 2008…
En bref, le paradoxe du plan « pollinisateurs » est d’afficher une volonté vertueuse de mieux connaître et de conserver les pollinisateurs et de définir les trajectoires précises de transition écologique en accord avec des résultats scientifiques, mais sans exprimer de volonté claire de réduire puis d’arrêter l’usage des pesticides.
Si la première cause de disparition des pollinisateurs est oubliée, vouloir les conserver par d’autres mesures devient complètement incohérent. À un moment où la moitié des agriculteurs actuels seront en retraite dans dix ans, c’est une occasion perdue de résoudre enfin la question de l’usage de ces molécules délétères.