Alors que la récolte de miel en 2021 a été la pire de ces dernières décennies, la filière conteste les dispositions prévues pour protéger les pollinisateurs des pesticides.
Au lendemain de la publication des chiffres de la récolte de miel pour l’année 2021, qui a été la pire de ces dernières décennies, la filière apicole veut faire entendre sa voix. Dans un communiqué commun publié mercredi 20 octobre, l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), le Syndicat national d’apiculture (SNA) et l’association Terre d’abeilles protestent contre le projet d’« arrêté abeilles » en préparation. Ce texte réglementaire doit encadrer les conditions d’épandage de pesticides, afin de protéger les abeilles domestiques, les abeilles sauvages et les bourdons.
Il est jugé peu protecteur par la filière, qui a enregistré cette année une récolte de 7 000 à 9 000 tonnes, principalement en raison des conditions météorologiques. « C’est moins de la moitié de la récolte de 2020, et moins du tiers des récoltes que nous faisions dans les années 1990, avant l’arrivée des[insecticides] néonicotinoïdes », dit Frank Alétru, président du SNA.
Horaires d’épandage encadrés
Le projet de texte a été mis en consultation publique cet été et a recueilli un nombre considérable de commentaires – l’arbitrage est en cours à Matignon, et devrait aboutir à une publication imminente. Le nouvel arrêté remplacera le précédent, qui datait de 2003.
La filière apicole n’espère plus grand-chose.« Nous n’avons, à aucun moment, été consultés, tempête Christian Pons, le président de l’UNAF. Ni par les ministères chargés de la question, ni par aucun de leurs services techniques. Nos revendications ne sont pas entendues et ne l’ont jamais été. Il semble que ce soit la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles] qui décide en réalité de tout. » De son côté, le ministère de la transition écologique assure que toutes les parties ont été consultées.
L’encadrement des heures autorisées pour les épandages est un élément-clé du texte. Il est censé n’autoriser les traitements pesticides que lorsque les abeilles et les pollinisateurs ont une faible probabilité de se trouver sur les zones traitées. « Si le produit est autorisé (…) pour un usage en floraison, le traitement doit, sauf cas particulier, être réalisé dans les deux heures qui précèdent le coucher du soleil et dans les trois heures qui suivent le coucher du soleil »,précise le projet d’arrêté.
C’est l’un des points majeurs de crispation. « Cet encadrement des horaires d’épandage ne tient pas compte de la température,proteste M. Pons. On sait que le coucher du soleil n’est que l’un des indicateurs pertinents. Les abeilles peuvent continuer à sortir et à butiner lorsque la température est supérieure à environ 12 °C, or cela n’est pas pris en compte dans le projet de texte. Nous demandons que ce seuil soit inscrit dans l’arrêté. »
Au ministère de la transition écologique, on estime que le nouvel arrêté « est une avancée majeure pour la protection des abeilles ». Le précédent, pris en 2003,« ne concernait qu’une petite partie des pesticides, les insecticides », alors que le nouveau « étend ce principe aux autres pesticides, herbicides et fongicides ».« La formule retenue est déjà très contraignante » pour les agriculteurs, ajoute-t-on au ministère. Ce dernier cite en outre l’avis rendu en 2019 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur le sujet, selon lequel « seule la luminosité peut être proposée comme condition indicatrice de l’absence d’activité de butinage des abeilles domestiques ».
Cependant, l’agence précise dans son rapport que cette opinion est due à une trop grande dispersion des indications présentes dans la littérature scientifique, non à une absence d’effet de la température sur le butinage d’Apis mellifera. Le seuil de 12 °C proposé par les apiculteurs est plutôt au-dessus des seuils estimés par la plupart des études citées par l’Anses dans son expertise. L’agence mentionne un total de huit études cherchant à fixer un seuil en deçà duquel les abeilles ne sortent pas butiner : cinq d’entre elles le situent à moins de 10 °C. Sur les trois autres, l’une situe la limite à 12 °C, l’autre entre 8,7 °C et 11,2 °C, et la dernière, conduite en zone tropicale, le place à 16 °C.
Besoin d’une signalétique claire
En outre, ajoute-t-on du côté des milieux apicoles, les pollinisateurs sauvages comme le bourdon butinent à des températures encore inférieures à celles de l’abeille domestique. « La plupart des espèces de bourdons sont (…) connues pour avoir une activité de vol à des températures ambiantes inférieures à celles de l’abeille domestique »,confirme le rapport de l’Anses. Or, l’« arrêté abeilles » est supposé protéger non seulement les abeilles à miel, mais aussi les abeilles sauvages et les bourdons. Ce seuil de température devrait donc être fixé à un niveau encore inférieur à 12 °C. La question de la température au moment du coucher du soleil est d’autant plus cruciale que le réchauffement climatique fait grimper les températures nocturnes.
Autre point d’achoppement : le traitement du blé, qui n’est pas encadré dans le projet d’arrêté. « Les pucerons présents sur le blé produisent du miellat que les abeilles viennent prélever, explique M. Alétru. Or, le blé peut être traité sans encadrement horaire au motif qu’il ne serait pas fréquenté par les abeilles… On sait que cela est faux ! » Les apiculteurs réclament en outre un étiquetage explicite, indiquant sans ambiguïté les produits nocifs pour les abeilles et les pollinisateurs.
« Aujourd’hui, nous avons une “mention abeille” qui trompe les utilisateurs, dit M. Alétru. Si vous achetez un jouet qui porte une “mention enfants en bas âge”, vous allez naturellement vous dire que ce jouet leur convient… Ici, il faut comprendre l’inverse ! De nombreux agriculteurs croient spontanément que la “mention abeille” signifie : sans risques pour les abeilles. Il faut une signalétique claire ! »