Pour la première fois, des scientifiques ont modélisé les effets écologiques et économiques de la restauration d’une espèce emblématique de grand prédateur : c’est très rentable.
C’est un club très select mais assez éclectique. Le castor et le chien de prairie y voisinent avec le loup mais aussi l’abeille, le ver de terre et quelques autres. Créé en 1969 par le naturaliste américain Robert T. Paine (1933-2016), il rassemble ce que les scientifiques nomment les espèces clé de voûte, des espèces qui jouent, dans leur environnement, un rôle sans commune mesure avec la réalité de leur population. Un seul être vous manque…, disait le poète il y a tout juste deux siècles.
La loutre de mer y dispose d’un fauteuil de choix. Non contente de son image emblématique, de son appétit féroce (un quart de son poids avalé chaque jour) et de sa capacité exceptionnelle à manier des outils (pour casser les coquillages), elle fait tourner tout un petit monde autour de ses moustaches. Sur la côte pacifique canadienne, la partie a bien failli s’arrêter, au milieu du siècle dernier, après un siècle et demi de commerce de sa fourrure.
Mais les mesures de protection, puis de réintroduction lancées dans les années 1970, lui ont sauvé la mise. « Une vraie success story environnementale, qui a rendu l’écosystème plus productif et plus résilient, souligne l’écologue Edward Gregr, professeur assistant à l’université de Colombie-Britannique. Mais la cascade trophique qu’elle a provoquée n’a pas fait que des heureux. »
La loutre est alors entrée en conflit avec les pêcheries de crustacés, qui avaient fleuri en son absence. Un problème d’autant plus complexe que celles-ci sont souvent tenues par les populations autochtones, sujet épineux au Canada. Edward Gregr et ses collègues ont donc décidé de poser l’équation, environnementale, mais aussi économique.
Les résultats sont spectaculaires. « Ce n’est pas la première fois qu’une étude démontre le résultat contre-intuitif que les prédateurs génèrent indirectement de la biodiversité, mais c’est la première fois qu’on démontre que cela peut s’accompagner de gains économiques », salue l’écologue Franck Courchamp (CNRS, Paris-Saclay). 46 millions de dollars canadiens (30 millions d’euros) par an, ont chiffré les chercheurs.
Nathaniel Herzberg / Le Monde 14 juin
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: Un groupe de loutres, sur la côte ouest de l’île de Vancouver (Canada). JAMES THOMPSON