Depuis 50 ans, il a passé des centaines de nuits en forêt, à l’affût pour observer les animaux sauvages, dont l’emblématique grand tétras: Michel Munier, spécialiste du volatile, est infiniment triste de le voir disparaître du massif des Vosges, mais cette évolution est selon lui inéluctable.
L’oiseau est de belle taille, environ cinq kilos pour les mâles, avec une queue qu’il peut déployer en éventail. Aussi appelé grand coq de bruyère, il est le plus gros oiseau terrestre sauvage d’Europe et possède des caractéristiques étonnantes. « Son adaptation est incroyable : par exemple, à l’automne, il a des excroissances carnées qui poussent à chaque doigt pour lui servir de raquettes sur la neige durant l’hiver », explique Michel Munier, naturaliste infatigable qui, à 76 ans, a déjà passé un demi-siècle à observer le grand tétras.
Toutes ses plumes de couverture sont très denses, chaque plume est doublée d’un large duvet qui lui permet de faire comme une doudoune. Il a des plumes qui descendent jusqu’en bas des pattes, comme un pantalon thermique, qu’il perd au printemps. Il a un système digestif qui lui permet en hiver de ne se nourrir que d’aiguilles de sapin… », poursuit M. Munier qui sort encore de quatre nuits d’affût dans les forêts du Jura, à la poursuite du lynx.
Réchauffement climatique et tourisme
Cet amoureux de la nature est fasciné depuis toujours pas le grand tétras, emblème de la forêt des Vosges. Il y a consacré un livre, « L’oiseau-forêt », et plus de 800 nuits passées dans les sous-bois, par tous les temps, pour tenter d’apercevoir cet oiseau rare et discret, considéré comme « vulnérable » sur la liste rouge française des espèces menacées. Malheureusement, Michel Munier sait qu’il ne pourra plus observer son animal fétiche dans les Vosges : malgré ses capacités d’adaptation le grand tétras, dont l’espérance de vie est d’une dizaine d’années, y a presque disparu.
« Dans les Vosges, il ne reste plus que deux ou trois mâles et autant de femelles. En plus, ce sont des individus vieillissants. On les voit sur nos pièges photo installés en forêt, ce sont de vieux coqs, donc on peut dire que l’espèce est éteinte chez nous », explique son fils Vincent Munier, photographe animalier qui a accédé à une renommée internationale avec son film « La panthère des neiges ». Pour que le grand tétras prolifère, il a besoin d’au moins six mois de neige par an et de calme. Des conditions qu’il trouve à sa guise en Scandinavie, qui permettent aussi à quelques centaines de spécimens de vivre dans le massif du Jura, mais plus dans les Vosges
« Avec la sylviculture, le réchauffement climatique et le développement du tourisme, ça a été la chute », reprend Michel Munier. Les hivers plus courts, moins froids, et le tourisme de masse ne permettent plus au volatile, vulnérable aux prédateurs, de vivre dans les Vosges. « C’est un peu notre dodo, un oiseau emblématique qui part. Là, on vit concrètement sa disparition rapide et totale », constate Vincent Munier, fataliste.
Certes, le Parc naturel régional des Ballons des Vosges et la préfecture ont lancé un plan de renforcement du grand tétras et veulent réintroduire dans le massif des animaux prélevés en Scandinavie. Mais pour les Munier père et fils, cette initiative n’a malheureusement aucune chance de réussir. « Si je vivais égoïstement, je devrais être pour la réintroduction, mais ce serait uniquement pour le plaisir alors qu’on sait très bien, quand on connaît l’espèce, qu’elle est en souffrance, elle n’a plus sa place ici », affirme sans détour Michel Munier.
Un avis partagé par le conseil scientifique régional du patrimoine naturel, qui a rendu la semaine passée un avis défavorable au projet. « Toutes les expériences de réintroduction en Europe ont été des échecs », abonde Vincent Munier. « Cela nous attriste, ceux qui portent ce projet ne sont pas à l’écoute des gens de terrain. C’est une espèce fragile et vulnérable, les conditions ne sont plus là. » « La disparition de cet oiseau, c’est une voix qui s’éteint, c’est dur », regrette encore Michel Munier. « Le dernier tétras que j’ai vu, en 2021, j’en ai pleuré. Vous savez que c’est la fin. Mais la vie est toujours là, la forêt n’est pas morte ! Elle continuera, avec d’autres espèces, elle chantera toujours si on laisse la forêt vieillir, avec des zones de quiétude pour les espèces qui y vivront. »