Selon une étude américaine, les castors remontent de plus en plus vers le nord de l’Arctique. Une dynamique permise par le changement climatique… et qui pourrait bien l’amplifier.
Les castors n’ont plus froid aux yeux. Selon une étude publiée début décembre par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) américaine, les rongeurs colonisent de plus en plus la toundra arctique de l’Alaska. Sous l’effet du changement climatique, les conditions de vie au nord sont de plus en plus adaptées aux castors, tandis que l’environnement du sud l’est de moins en moins. Ce qui pourrait expliquer leur présence dans des contrées qui étaient, il y a quelques années encore, inhabitables. La baisse du braconnage est un facteur également avancé.
Dans cette région où le réchauffement climatique est trois fois plus rapide que dans le reste du monde, la présence des castors n’est pas qu’un symptôme, c’est aussi un facteur potentiel d’accélération du bouleversement en cours. Arrivés dans l’Arctique, les castors en refaçonnent le paysage. Tandis que des cours d’eau sont détournés, d’autres sont créés par son activité de barrage. «Ils changent l’hydrologie de la zone», souligne Ken Tape, chercheur à l’Université d’Alaska et coauteur de l’étude, dans une interview au Guardian. Un bouleversement et une accumulation d’eau dans les marécages qui entraînent la fonte du pergélisol, ces couches de sol gelées en permanence. Enfermés initialement dans le sol gelé, des puissants gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone et le méthane, sont alors rejetés dans l’atmosphère.
La migration des castors affecte aussi les populations humaines qui vivent au nord du cercle arctique. En redessinant ainsi le paysage, les rongeurs les contraignent à réadapter leur mode de vie. Que cela soit pour leurs trajets, affectés par la mutation des cours d’eau et par les inondations qu’elle provoque, mais aussi pour leur accès à l’eau, notamment en ce qui concerne la pêche.
Vingt fois plus de marécages
Pour réaliser cette étude, l’équipe internationale de chercheurs s’est appuyée sur des milliers d’images satellite, précieusement récoltées depuis 1949. Une étude au long cours donc, qui a permis de quantifier l’apparition de marécages créés par des castors dans la région. Les chercheurs ont notamment cartographié les barrages et calculé l’augmentation de la superficie d’eau. Selon leurs conclusions, le nombre d’étangs créés par les castors qui endiguent les rivières et les ruisseaux de l’ouest de l’Alaska a été multiplié par 20.
On ignore cependant le nombre de ces rongeurs, estimé être entre 50 000 et 100 000. «Il y a des régions en Alaska où il n’y avait aucune trace de castors il y a cinquante ans et qui en sont aujourd’hui saturées»,détaille Ken Tape. Afin de continuer à suivre cette migration préoccupante, les scientifiques de l’étude ont créé un réseau d’observation, l’Arctic Beaver Observation Network (A-BON). Il va poursuivre le travail de collecte de données. Une première réunion est prévue pour mars 2022.
Mais avant même ses premières conclusions, Ken Tape s’inquiète : «C’est juste une question de temps avant que les castors ne se dirigent davantage vers le nord. Quand vous réalisez que cela se produit probablement à travers le reste de l’Arctique au Canada et en Russie, cela vous donne une idée de l’ampleur de ce changement.»
Libération, 4 janvier 2022
photo : Un castor dans le parc national du Denali, en Alaska. (Paul A. Souders/Getty Images)