Pour Christophe Baticle, socio-anthropologue, la Fédération nationale met sciemment en avant l’image des femmes pour moderniser une pratique masculine et vieillissante, et en finir avec les stéréotypes qui l’entourent.
Revoilà la «femme chasseresse», égérie au cœur de la récente campagne de communication de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), qui met en avant dans une série de spots vidéo une majorité de femmes jeunes, à contre-pied de la figure traditionnelle du chasseur. La Diane antique est remise au goût du jour et des réseaux sociaux pour moderniser l’image d’un loisir soumis à de rudes critiques. Christophe Baticle, socio-anthropologue, spécialiste des questions territoriales à l’université de Picardie, revient pour Libération sur cette relation ambivalente.
Comment analyser la stratégie de la Fédération nationale des chasseurs, visant à féminiser son image ?
Je me demande si, dans son for intérieur, la FNC cherche à recruter de nouvelles adhérentes, en adoptant un slogan à la Aragon : «La femme est l’avenir du chasseur.» Je ne suis pas certain que ce soit son calcul. L’idée, il me semble, est davantage de renverser les codes en ayant l’air de dire : si même les femmes chassent, vous-même pouvez le faire. Dans les petits films de la FNC, la nature est très urbaine, agglomérée, jardinée. Ce n’est pas une «campagne sauvage». Ils ont volontairement choisi de montrer quelque chose de très décalé. La question de l’authenticité ne se pose plus. Pour les chasseurs, l’avantage est de trouver une oreille attentive auprès des gouvernants et de l’opinion publique face à des représentations stigmatisantes à leur égard, qui les considèrent comme en dehors de la civilisation. Ils peuvent retourner les caricatures et cela leur donne voix au chapitre.
Est-ce qu’on peut y voir un symbole de modernisation de la chasse ?
Aujourd’hui, la chasse renvoie plutôt à un mouvement de contre-modernisation car ses symboles sont remis en question. Le mythe du progrès est abattu car nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas maîtriser la nature. Les chasseurs veulent redorer le blason de la chasse en utilisant une image féminine, jugée positivement aujourd’hui. L’anthropologue Françoise Héritier parlait d’une «balance différentielle des sexes», l’idée que le féminin a toujours eu tendance à être associé à du négatif, et le masculin à du positif. Là, dans les stratégies de communication adoptées, nous avons vraisemblablement affaire à un retournement.
Pourquoi la femme, dans l’imaginaire collectif, est-elle incompatible avec la chasse ?
Il y a quantité de théories, qui réapparaissent régulièrement dans nos sociétés, selon lesquelles la femme donnant la vie ne peut naturellement pas donner la mort. Derrière cette image de la femme qui chasse, la volonté de la FNC est de passer outre toutes les normes invitant les femmes à être plutôt du côté de la compassion, du care, par rapport aux hommes qui donnent la mort. Ce sont de vieux serpents de mer qui traînent dans nos sociétés depuis des siècles et qui sont indémontrables par définition. Dans cette campagne de communication, une femme s’affiche avec des armes plus impressionnantes les unes que les autres. Nous sommes très loin de l’image du chasseur séducteur de la fin du XIXe siècle, vu comme un beau parleur face à une femme timorée qui minaude.
Y a-t-il déjà eu des tentatives de féminiser l’image de la chasse ?
A ce niveau-là, non. Une grosse campagne avait été lancée il y a une quinzaine d’années pour inciter les jeunes femmes à passer leur permis de chasser. Les fédérations déploraient le fait qu’il y avait beaucoup de candidates à le passer, mais la proportion de celles qui allaient au bout était moins importante. Il y a aussi le passage par les écoles. Certains lycées agricoles proposent des options chasse pour obtenir des points supplémentaires au baccalauréat mais les femmes sont de toute façon peu nombreuses dans ces formations.
Comment les femmes sont-elles historiquement représentées dans la pratique de la chasse ?
La représentation de la femme pratiquant la chasse est extrêmement rare. Dans la mythologie gréco-romaine, des femmes comme Diane ou Artémis sont représentées, mais ce sont plus des figures féminines que des femmes concrètes. Fin XIXe-début XXe, ces représentations font l’objet de dessins humoristiques, car ces images sont associées à des modes de séduction : la femme est présentée comme l’appât d’un chasseur qui s’arrête pour taper la causette auprès d’un arbre. La première association de «chasse au féminin», dirigée dans les années 80 par Martine Pion, incarnait déjà une forme de transgression avec un logo représentant une femme fusil à l’épaule.
Sur la pratique, la chasse est-elle exclusivement une affaire d’hommes ?
Historiquement, la chasse aux tendelles [une façon de piéger les grives, ndlr] dans les grands causses de l’Aveyron et de Lozère est plutôt l’apanage des femmes, on en trouve encore aujourd’hui. Ce sont des femmes qui piègent les animaux plus qu’elles ne les chassent. Il faut être le plus éloigné et discret possible, ce qui peut expliquer que les femmes, voire les enfants, y étaient plus acceptées qu’ailleurs. Ce sont des pratiques historiquement relativement tolérées par le public, parce que les gens vivaient de ces modes de chasse. Des veuves qui n’arrivaient pas à joindre les deux bouts se faisaient aider par des jeunes pour piéger les grives et les vendre.
Clara Hage / Libération, 25 août
Illustrations : Johanna Clermont, 23 ans, fait partie de la campagne de la fédération de la chasse. (Photo Zone300)