Seuls mammifères à vol actif, les chiroptères n’ont rien à envier aux oiseaux. Des scientifiques viennent de montrer qu’ils peuvent profiter de courants ascendants pour monter à 1 600 mètres et voler à 135 km/h.
Rappelons-le une fois encore : les chauves-souris ne sont ni chauves ni souris. Celui qui crut malin de réunir quelque 1 400 espèces sous ce vocable aurait mieux fait de passer la nuit dans son lit plutôt qu’à la fenêtre.
Georges Cuvier, lorsqu’il choisit en 1798 de nommer cet ordre de mammifères placentaires les « chéiroptères » (devenu chiroptères), littéralement « mains ailées », fut nettement plus inspiré. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’un mammifère dont les mains se sont transformées en ailes. Le seul doté du vol actif.
Fais comme l’oiseau. L’humain en a rêvé, l’a chanté même, la chauve-souris l’a fait. Et jamais rien ne l’empêche d’aller plus haut, pourrait-on très sérieusement ajouter. Une équipe internationale vient en effet de montrer, dans un article publié jeudi 4 février dans la revue Current Biology, que le molosse de Cestoni, un joli petit monstre méditerranéen de moins de 40 g, pouvait monter à quelque 1 600 mètres d’altitude, mais aussi voler à la vitesse de 135 km/h.
Le souffle de la nuit
Ce n’est pas un record. Une partie des auteurs de l’article avait déjà repéré son frêle cousin brésilien à 3 000 m d’altitude et l’avait flashé à 158 km/h. Mais l’animal des tropiques était trop léger pour embarquer sans dommage une balise GPS digne de ce nom.
Cette fois, Teague O’Mara, de la Southeastern Louisiana University, et ses collègues ont pu équiper huit chauves-souris et ils ont compris comment le mammifère atteignait les sommets : grâce aux courants ascendants.
Ils s’en doutaient un peu, reconnaît le chercheur américain. « La chauve-souris est une experte aérienne », insiste-t-il. Sauf que les principaux flux, ceux que privilégient les oiseaux, sont thermiques et diurnes. La nuit ne demeurent que les courants orographiques, créés par les reliefs terrestres. Suffisant ? Grâce aux balises, les chercheurs ont pu le démontrer. Ce souffle explique, à lui seul, 90 % des mouvements ascendants. « Nous n’attendions pas un résultat aussi clair, indique Teague O’Mara. Ni de découvrir une telle rapidité dans l’ascension. » Moins de vingt minutes pour atteindre 1 600 mètres. Un exploit.
Eric Petit, directeur de recherche (INRA) à l’université de Rennes, salue cette « démonstration ». Sans toutefois être totalement surpris, lui non plus. « Ce comportement avait déjà été observé chez les oiseaux, dont certaines espèces, comme l’oie à tête barrée, utilisent ces ascenseurs orographiques, notamment lors de migrations nocturnes », indique-t-il. Et ce que l’oiseau peut, la chauve-souris semble le réaliser.
Du bras jusqu’au bout des doigts
Pourtant, les chiroptères souffrent d’un terrible handicap : leurs oreilles proéminentes. Indispensables pour l’écholocalisation, elles brisent leur aérodynamisme. En échange, l’évolution leur a accordé le patagium, cette membrane innervée disposée entre leurs doigts, qui leur permet de régler la surface portante.
« Ces ailes sont des variations des mains avec les doigts, mais aussi le poignet, l’avant-bras, le bras, ce qui donne à la chauve-souris un contrôle exceptionnel », insiste Sharon Swartz, professeure de biodynamique à l’université Brown, cosignataire de l’article.
« Ce patagium est directement contrôlé par le cerveau, grâce à de petits muscles spécifiques, poursuit-elle. C’est couplé avec un réseau de cils sensoriels, un peu comme si des cellules de l’oreille interne couvraient toute la surface. Cela lui permet probablement de disposer constamment d’une carte mentale de ses propres ailes. »L’absence de plumes allège aussi considérablement le poids relatif de ses ailes. Si bien que chiroptères et oiseaux, aussi éloignés soient-ils, affichent un bilan énergétique assez proche.
Comme toute bonne étude, cette recherche ouvre de nombreuses questions. Eric Petit en liste quelques-unes. « Quelle gamme d’espèces utilise ces ascenseurs orographiques ? Dans quelles conditions ? Quels avantages ces vols de type “montagnes russes” donnent-ils aux individus qui les utilisent ? Ces vols demandent-ils des adaptations (physiologiques, sensorielles, morphologiques) spécifiques ? »
Teague O’Mara s’en pose une autre. Car lui rêve d’examiner de plus près le comportement des mammifères volants. Observer leurs ailes et leurs muscles, la position de leur tête. En développant des balises encore plus sophistiquées. Mais aussi en les installant dans des souffleries, au laboratoire. « Mais accepteront-elles de coopérer et de voler aussi vite ? », se demande-t-il.
Par Nathaniel Herzberg, Le Monde / 7 février 2021
photo : Un spécimen de « Tadarida teniotis », le molosse de Cestoni.