Le consortium international Bat1K est parvenu à résoudre le mystère des origines de ces mammifères volants grâce à un immense programme d’analyse génomique.
La chauve-souris vit son heure de gloire. Avec l’explosion de la pandémie de Covid-19, des milliers de scientifiques à travers le monde se passionnent pour le premier hôte du virus – ou plutôt de son ancêtre. Depuis des siècles pourtant, quelques poignées de passionnés sont éblouis par cette bête hors du commun. Seul mammifère volant, doué d’une longévité exceptionnelle et d’un sens rare – l’écholocation – qui lui permet de « voir » en pleine nuit, il dispose d’un système immunitaire qui lui permet de vivre avec les virus. Au cours des dix dernières années, de nombreuses publications se sont penchées sur ce dernier point et un article, publié mercredi 22 juillet dans Nature, apporte de nouvelles précisions sur l’origine génétique de cette particularité.
Mais le consortium international Bat1K, qui s’est fixé pour objectif de séquencer, en dix ans, le génome des quelque 1 400 espèces de chiroptères connues, ouvre son étude par une information retentissante pour le monde de la zoologie. Par des analyses d’une ampleur et d’une finesse nouvelles, il permet enfin aux chauves-souris « de trouver leur terrain d’atterrissage dans l’arbre phylogénétique des espèces », comme l’explique l’Irlandaise Emma Teeling (University College Dublin), la coordinatrice du programme.
Car, aussi curieux que cela paraisse, nul ne connaissait l’origine des chauves-souris. Ou plus exactement chacun pensait avoir son explication. Longtemps, dans la foulée du naturaliste suédois du XVIIIe siècle Carl von Linné, les scientifiques ont développé, sur la foi de critères anatomiques, la théorie du « primate volant ». D’autres les faisaient cousiner avec les lémuriens, avec les rongeurs ou encore avec les toupayes, de petits mammifères arboricoles placentaires d’Asie du Sud-Est…
Ancêtre commun avec les chameaux et les pangolins
Le développement du séquençage du génome a écarté ces hypothèses. Depuis le début du XXIe siècle, la comparaison des séquences d’ADN a permis de replacer les chauves-souris au sein du super-ordre des laurasiathériens. Mais, quand on sait que celui-ci rassemble les chiens et les chats, les baleines et les chameaux, les ours, les cerfs et… les pangolins, cela laissait une certaine marge. « Toute la difficulté vient du fait que, pendant une période très courte, allant d’il y a 85 millions d’années à il y a 60 millions d’années, une explosion de diversité s’est produite », souligne Sonja Vernes, du Max Planck Institute. « Pire que ça, ajoute Emma Teeling, après des débuts de séparation, des groupes se sont de nouveau hybridés et ont brouillé les pistes. » Suivant les portions de génome étudiées, les hypothèses du cheval volant, du pangolin volant, ou plus largement ducarnivore volant voyaient le jour.
Pour envoyer ces différents scénarios aux oubliettes, l’équipe de Bat1K a procédé au séquençage systématique de six espèces de chauves-souris représentant différentes branches de la famille. Mais surtout à un travail d’annotation de 13 000 gènes, dans chacun des génomes, et de rapprochement avec les génomes connus de 42 autres espèces de mammifères. Ils ont également comparé plus de 10 000 éléments non codants. Ils ont alors vu apparaître un scénario. Ils l’ont vérifié par une seconde méthode, dite de « coalescence », qui consiste à écarter tout le matériel susceptible de provenir d’un événement exceptionnel et de ne garder que « l’information absolument certaine » : « faire apparaître l’arbre des espèces derrière l’arbre des gènes », résume la chercheuse.
Résultat : les chauves-souris se situeraient à la base du taxon des Scrotifera. Elles y auraient fait sécession il y a plus de 65 millions d’années d’un clade répondant au doux patronyme de fereuungulata, qui regroupe pêle-mêle fauves, ours, cétacés, ongulés, chameaux, rhinocéros et, toujours, les pangolins…. A quoi ressemblait leur ancêtre commun ? Quelle particularité anatomique a accompagné cette prise de distance ? Le vol ? L’écholocation ? « Depuis ma thèse, je rêve de répondre à ces questions, confesse Emma Teeling. Je voulais trouver le fossile qui apporterait la preuve définitive. Nous ne l’avons toujours pas. Mais près de vingt-cinq ans plus tard, et avec d’autres moyens, nous avons fait un grand pas. » Pour l’homme comme pour la chauve-souris.
NathanielHerzberg / Le Monde, 29 juillet
photo : Un grand murin (myotis myotis), en Bretagne. OLIVIER FARCY