Les cigognes migrent de moins en moins : « les déchetteries sont devenues des fast-foods à ciel ouvert »

L’absence de périodes de froid prolongée et le développement de centres de déchets à ciel ouvert permettent aux cigognes alsaciennes de se nourrir l’hiver. Conséquence, elles n’ont jamais été aussi nombreuses et seules 30% migrent encore, le plus souvent vers l’Espagne.

Elles sont le symbole de l’Alsace, mais elles ont longtemps cultivé leur image à mi-temps seulement. Il fut une époque, que les moins de 20 ans ne connaissent pas, où les cigognes partaient à la fin de l’été vers l’Afrique pour passer l’hiver au chaud… mais surtout afin de dénicher de quoi se nourrir. « Ce n’est pas le froid en tant que tel qui entraîne la migration des cigognes, mais le fait qu’en hiver, il y avait jusqu’alors moins à manger« , explique Dominique Klein, spécialiste de ces grands échassiers.

Elles sont de moins en moins nombreuses à s’infliger encore ce périple de plusieurs milliers de kilomètres, jusqu’en Tunisie, au Maroc, voire au Mali. Pourquoi s’embêter, alors que le réchauffement climatique rend la météo plus clémente et les périodes de neige ou de gel plus rares, et qu’il devient ainsi possible de dégoter quelques vers de terre ou autres grenouilles pendant la saison fraîche ?

Plus de 1 600 couples en Alsace, un record

« La sédentarité croissante des cigognes est surtout liée au développement des centres de tri ou d’enfouissement de déchets qui leur permettent de s’alimenter toute l’année. Aujourd’hui, elles savent les repérer et les adultes montrent aux jeunes où se trouvent ces sites, ça fait partie de leur ADN »

, poursuit l’ornithologue.

Depuis la première structure consacrée au recyclage et à la collecte des déchets, inaugurée en 1992 à Dunkerque, des centaines d’autres ont vu le jour sur le territoire. En 2017, l’Alsace comptait ainsi 120 déchetteries, 5 centres de tri et 6 installations de stockage. Une centaine de cigognes gravitent par exemple autour du site d’enfouissement de Munchhausen dans le Bas-Rhin.

« Ce sont des fast-foods à ciel ouvert. Elles y trouvent des restes alimentaires, résultant d’un mauvais tri des poubelles des particuliers. Elles se nourrissent aussi des rats et des souris qui pullulent sur place »; estime Dominique Klein. Actuellement, 1 630 couples auraient élu domicile en Alsace, un record depuis le début des recensements, et seuls 30% d’entre eux continuent à partir vers le sud. « Les oiseaux qui décident de partir malgré tout vont moins loin qu’avant, jusqu’au sud de l’Espagne maximum dans la majorité des cas. »

Les grenouilles, possibles victimes de la sédentarisation des cigognes

Autre observation, les cigognes migratrices reviennent dans nos contrées de façon plus précoce. « Avant, elles revenaient en avril. Désormais, on se rend compte qu’elles sont de retour dès la mi-janvier pour certaines », note l’expert. Et pour cause, ces dernières redoutent de se faire chiper leur nid, demeure à laquelle elles sont normalement « fidèles ».

Une fois posés tous ces constats, reste la question des conséquences. A priori, les cigognes, au même titre que les grands oiseaux comme le héron ou l’aigrette, « ne se sont jamais aussi bien portées », au contraire des passereaux, les plus petites espèces. L’échassier est même tellement présent qu’il peut en devenir envahissant, non sans causer un danger, comme lorsqu’un pylône électrique devient le support d’un nid.

La sédentarité de la cigogne pourrait également bouleverser l’équilibre de la biodiversité locale. « Les amphibiens, comme les grenouilles, seront peut-être les premières victimes de ces changements de comportement », conclut Dominique Klein. La présence accrue d’un prédateur et l’absence d’une couche de gel pour les protéger en font des proies sans défense face à un bec rouge affamé.

Source : FranceInfo

Image : Depositphotos.com