En annonçant l’arrivée à l’automne de deux femelles dans les Pyrénées-Atlantiques, Nicolas Hulot a rouvert un dossier explosif.
La riposte ne se sera pas fait attendre : immédiatement, les éleveurs béarnais ont sonné le rappel des troupes. En annonçant la réintroduction à l’automne de deux ours femelles dans les Pyrénées-Atlantiques, Nicolas Hulot savait qu’il rouvrait un dossier explosif. « Je vais demander au préfet d’organiser un dialogue pour réussir cette réintroduction et je me rendrai sur place »,a déclaré le ministre de la transition écologique dans les colonnes du Parisien mardi. Objectif : éviter la disparition du plantigrade dans la partie occidentale du massif, où seuls deux mâles persistent. L’annonce de ce lâcher, inédit depuis douze ans, a ravivé les tensions qui opposent de longue date associations et éleveurs.
Ces derniers multiplient les réunions dans les vallées et ont réactivé un collectif d’associations contre la présence du plantigrade. Pour Jean-Pierre Pommiès, un berger transhumant de la vallée d’Ossau, c’est « l’une des plus belles agricultures de France qui est menacée ». « A lui seul, notre département pèse pour la moitié du cheptel des Pyrénées, soit 300 000 des 600 000 brebis », plaide-t-il. Ses menaces sont à peine voilées : « Je vous garantis que les ourses ne sont pas encore là. On va nous pousser à basculer dans l’illégalité pour protéger nos troupeaux. »
« Maintien du pastoralisme »
L’éleveur cite les « dégâts » causés par le plantigrade sur le reste du massif. En Ariège, le département le plus touché, on a relevé 689 animaux morts l’an dernier contre 228 en 2016 – notamment en raison de chutes exceptionnelles d’ovins fuyant sans doute le prédateur. « La situation a montré que les moyens de protection existants ont très largement atteint leur limite »,avance la Confédération paysanne, qui dénonce une « décision prise avant toute concertation ». Le porte-parole de l’Association pour le développement durable de l’identité des Pyrénées, Bruno Besche-Commenge, rappelle de son côté l’article L113-1 du code rural qui impose au gouvernement « le maintien du pastoralisme, en particulier en protégeant les troupeaux des attaques de l’ours ».
Mais les associations opposent, elles, une autre obligation : celle de « rétablir l’ours brun dans un état de conservation favorable », alors qu’Ursus arctos est protégé sur le sol français depuis 1981, ainsi qu’en Europe par la directive habitat-faune-flore de 1992. Or, dans une décision rendue le 6 mars, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l’Etat pour n’avoir pas suffisamment protégé l’ursidé, une « faute de nature à engager [s]a responsabilité ». Les juges ont estimé que l’effectif actuel reste « insuffisant pour assurer la pérennité de l’espèce ». En 2012, la Commission européenne avait déjà déclenché une procédure d’infraction contre la France.
Lire aussi : L’Etat condamné pour n’avoir pas suffisamment protégé l’ours des Pyrénées
En 2016, selon les derniers chiffres disponibles, le massif pyrénéen comptait trente-neuf plantigrades : trente-sept individus dans les Pyrénées centrales et les deux mâles de la partie occidentale, à cheval sur les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Atlantiques. Mais la population ursine n’est toujours pas viable – il faudrait 250 mammifères matures, selon le Muséum national d’histoire naturelle – et présente un risque de consanguinité élevé. Aucun lâcher n’a eu lieu en France depuis les réintroductions de cinq ours slovènes de 2006, après celles de 1996 et de 1997 (trois spécimens).
« Patrimoine »
« C’est une étape importante, mais nous restons vigilants jusqu’à ce que les ourses soient effectivement lâchées »,
réagit Alain Reynes, le directeur de l’association Pays de l’ours-Adet. « Ces deux femelles ne font que remplacer les femelles Claude (1994) et Cannelle (2004), tuées de la main de l’homme, complète le Fonds d’intervention éco-pastoral, une association des Pyrénées-Atlantiques qui défend la cohabitation avec les bergers. L’ours brun fait partie du patrimoine culturel et naturel des Béarnais, des Pyrénéens et de tous les Français. »
Les ONG en veulent pour preuve un sondage réalisé par l’IFOP fin février. Celui-ci montre que les Français sont favorables à 84 % au maintien d’une population d’ours dans les Pyrénées, tandis que 76 % des habitants des Pyrénées-Atlantiques se prononcent pour le lâcher de deux femelles dans le Béarn. « Des chiffres bidons », rétorque l’éleveur Jean-Pierre Pommiès, qui assure que « dans les vallées, personne ne veut de l’ours ». La concertation locale et la consultation du public que devra mener le gouvernement promettent d’être animées.
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Audrey Garric
photo : Un ours dans les Pyrénées espagnoles. Francisco Marquez/Biosphoto