Face à la hausse des températures, les animaux et les végétaux se déplacent vers les pôles. Ce phénomène serait plus rapide dans les océans que sur terre, selon une étude française.
Un peu plus de 6 kilomètres par an. C’est la vitesse moyenne à laquelle les espèces marines se déplacent vers les pôles pour retrouver un peu de fraîcheur, selon une étude publiée, lundi 25 mai, dans la revue Nature Ecology & Evolution. En effet, au fur et à mesure que le climat se réchauffe, les isothermes, ces lignes imaginaires le long desquelles la température est constante, remontent vers des latitudes et des altitudes plus élevées. Le rapport, mené par des chercheurs du CNRS, démontre qu’animaux et végétaux se déplacent en parallèle pour retrouver des milieux plus cléments. Mais, si les animaux marins arrivent à suivre la cadence, sur terre, le retard se creuse. Les espèces terrestres seraient ainsi six fois plus lentes à se déplacer.
Pour arriver à ces résultats, les chercheurs ont analysé la vitesse de déplacement de plus de 12 000 espèces animales et végétales en fonction de celle des températures. « Un des aspects très intéressants de cette étude vient de sa grande base de données, constate Olivier Dangles, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui n’a pas participé aux travaux. En biodiversité, nous n’avons pas encore ce genre de données sur lesquelles nous appuyer, contrairement à d’autres domaines. » Appelée Bioshift, cette base de données créée par les chercheurs est en accès libre et contient plus de 30 000 observations de déplacement d’espèces issues de 258 études publiées dans des journaux scientifiques et couvrant plus de deux siècles d’histoire.
L’impact des activités humaines
Grâce aux informations obtenues avec la base de données, les écologues du CNRS ont observé que les espèces terrestres se déplaçaient seulement à une vitesse moyenne de 1 kilomètre par an. Un écart conséquent qui s’explique de manière simple.
« Ce sont les activités humaines qui impactent le plus ces migrations, explique Jonathan Lenoir, chercheur à l’unité écologie et dynamique des systèmes anthropisés du CNRS, et coauteur de l’étude. La fragmentation des habitats liée à l’urbanisme, la déforestation, le développement des villes, les changements d’usage des sols et le morcellement des forêts, diminuent la capacité des espèces terrestres à migrer. » A l’inverse, selon le chercheur, les écosystèmes marins sont beaucoup plus continus, permettant aux espèces de se déplacer plus librement et de mieux suivre la course effrénée des températures.
Une autre différence majeure observée dans la base de données vient du type d’animaux présents dans chaque milieu. « Nous avons différencié deux types d’espèces : les ectothermes et les endothermes », explique Jonathan Lenoir. Les ectothermes sont les animaux ne produisant pas de chaleur interne et qui dépendent des sources extérieures pour augmenter leur température. A l’inverse, les endothermes sont capables de réguler leur propre température. « Les endothermes vont s’adapter plus facilement à une augmentation de 1°C de température par exemple. Les ectothermes, plus sensibles aux fluctuations de température, sont plus susceptibles de suivre de près les isothermes changeantes et donc de migrer plus vite », poursuit le chercheur. Selon les chercheurs, les milieux marins seraient ainsi majoritairement composés d’espèces ectothermes.
« Ascenseurs vers l’extinction »
En montagne, la situation est un peu différente. Selon l’étude, les espèces s’y déplacent à une vitesse moyenne de 2 mètres par an, avec un record de 12 mètres par an pour les amphibiens. Cette différence de vitesse entre les plaines et les montagnes serait due au fait que les espèces des plaines doivent parcourir une plus grande distance pour trouver de nouvelles conditions climatiques favorables à leur développement.
« Dans une étude précédente, nous avions observé que les isothermes s’étaient déplacées d’environ 1 kilomètre vers les sommets sur une période de trente ans en France métropolitaine, alors qu’en plaine les isothermes s’étaient déplacées de 36 kilomètres vers le nord, détaille Romain Bertrand, postdoctorant au laboratoire Evolution et diversité biologique de l’université de Toulouse et coauteur de l’étude. Une espèce aura donc plus de facilité à suivre la redistribution des conditions climatiques le long des isothermes d’altitude plutôt que de latitude. »
Les espèces s’adaptent donc au changement climatique, mais pourront-elles se déplacer indéfiniment ? « Non, bien sûr, répond Olivier Dangles, de l’IRD. Ces migrations sont en réalité ce qu’on appelle des ascenseurs vers l’extinction. Au bout d’un moment, les animaux ne pourront pas aller plus loin. » En effet, à mesure que les espèces se déplacent, elles se rapprochent des cimes en altitude et des pôles en latitude. « L’espace se réduit quand on arrive à proximité du sommet, confirme Jonathan Lenoir. Chez certains oiseaux, on observe déjà des espèces endémiques qui ont migré à leur limite altitudinale et qui s’éteignent. Les espèces ne peuvent plus survivre quand les isothermes disparaissent. »
Très peu de données sur l’Amazonie
Alors ces migrations sont-elles une bonne ou une mauvaise nouvelle ? « Nous pouvons au moins dire que, face au réchauffement, les espèces ont une réponse. Elles mettent en place une stratégie, ce qui est déjà une bonne chose, avance Romain Bertrand. Mais la vitesse de déplacement des isothermes est beaucoup plus grande que celle des espèces animales ou végétales, donc, quoi qu’il arrive, les animaux ont du retard sur le changement climatique. Et cet écart se creuse de plus en plus pour les espèces terrestres. Ces dernières vont devoir mettre en place d’autres stratégies : adaptation évolutive, sélection ou mutation. »
De plus, selon Olivier Dangles, il existe une contrainte supplémentaire : les espèces sont liées à leur écosystème. « Par exemple, un insecte va peut-être pouvoir se déplacer rapidement, mais pas sa plante hôte ou sa nourriture. Les espèces dépendent donc de la capacité de dispersion de leurs proies, prédateurs, habitats, etc. », explique le chercheur.
Pour aider les espèces à se déplacer plus rapidement, Jonathan Lenoir énonce deux possibilités. « La première solution, ce sont les migrations assistées. C’est une forme de gestion très interventionniste qui consiste à déplacer des espèces sur de grandes distances pour les relocaliser. » Cette méthode reste très discutée dans la communauté scientifique et peut entraîner des problèmes d’invasion. « Une approche plus naturelle, poursuit le chercheur, consiste à favoriser la mise en place de corridors écologiques, comme des bocages dans les régions agricoles, qui permettent aux animaux de se déplacer tout en restant dans leur écosystème. »
Mais, pour les scientifiques, le travail n’est pas fini. « Il faut garder en tête que notre base de données comprend 12 000 espèces, soit 0,6 % de la biodiversité connue, fait valoir Jonathan Lenoir. Il reste énormément de régions qui sont très peu échantillonnées, comme l’Amazonie par exemple, qui est pourtant un foyer important de biodiversité. » Selon les chercheurs, il faut désormais étendre les recherches à plus d’espèces pour ainsi permettre la mise en place de politiques de préservation efficaces.
Clémentine Thiberge / Le Monde 28 mai
photo : Dans la réserve marine des Galapagos, près de l’île Wolf (Equateur). Jorge Silva / REUTERS