La multiplication des mégafeux au cours des dernières années a fait de la science des incendies une discipline en plein essor. Comment les affronter ? Comment les prévenir ? Une équipe de l’université de Yale a publié, jeudi 25 novembre, dans la revue Science, une étude qui promet de susciter un sérieux débat. Pour tenter d’en percer la cause, elle n’a pas scruté les récents désastres en Californie ou en Australie. Elle a choisi de se pencher vers le passé lointain. Et sa conclusion est sans appel : les incendies de prairie ont été nourris par la disparition des grands herbivores.
« Depuis longtemps, nous savions que les grands herbivores mangent suffisamment de plantes pour transformer la structure végétale, rappelle Allison Karp, chercheuse dans la prestigieuse université et première autrice de l’étude. Cela avait conduit à l’hypothèse qu’ils pouvaient aussi modifier le comportement des feux. » Le mécanisme semblait assez naturel : moins de grands brouteurs entraîne une accumulation de biomasse qui viendra transformer le premier feu en brasier. Quelques études conduites localement, dans les plaines tanzaniennes du Serengeti ou en Afrique du Sud, plaidaient en ce sens. « Nous avons voulu tester cette idée à la plus grande échelle possible, celle du continent à travers le temps géologique », poursuit l’écologue.
La période s’ouvrant il y a 50 000 ans et s’interrompant il y a 6 000 ans, qui a vu disparaître
– pour des raisons diverses et parfois mal expliquées – des espèces iconiques comme le mammouth laineux, le bison géant ou encore les chevaux anciens, présentait un terrain d’observation idéal. Les chercheurs ont suivi la trajectoire des 302 espèces de grands herbivores de la fin du quaternaire. Ils ont regardé comment les extinctions s’étaient réparties sur quatre continents pour lesquels ils disposaient de suffisamment d’informations et constaté une grande inégalité. En perdant 83 % de sa mégafaune, l’Amérique du Sud a payé le plus lourd tribut, suivie par l’Amérique du Nord (68 %). L’Australie (44 %) et, surtout, l’Afrique (22 %) ont été nettement plus épargnées.
Les chercheurs ont ensuite plongé leur attention dans la Global Paleofire Database, la base de données des incendies anciens. Les charbons retrouvés dans les sédiments de certains lacs y sont répertoriés, qui permettent de dater mais aussi d’estimer l’importance des feux du passé. Sur l’essentiel des 410 sites correspondant à leur période, ils ont constaté que partout l’activité des feux augmentait après la disparition des herbivores – indépendamment du facteur climatique. En répartissant ensuite ces événements par continent, le même palmarès est apparu : c’est en Amérique du Sud que l’activité des incendies a connu la plus grande croissance, suivie de l’Amérique du Nord, l’Australie et l’Afrique.
L’empreinte carbone du bétail
L’équipe de Yale a voulu voir si ce résultat se vérifiait avec tous les types de végétation et avec tous les animaux. Pour les « pâtureurs », qui se nourrissent d’herbe à même le sol, le résultat était clair. Mais qu’en était-il des mastodontes ou des paresseux géants et autres brouteurs de feuilles, de bourgeons, de pousses d’arbre ou de buissons ? « A notre grande surprise, nous avons constaté que la disparition de ces brouteurs n’entraînait pas de multiplication des incendies », indique Allison Karp. Des études locales semblaient pourtant plaider pour un résultat équivalent dans les deux types de paysages. Les chercheurs évoquent la possibilité d’une mauvaise interprétation de leurs collègues. Ils rappellent également que dans les forêts ou les sous-bois, c’est le degré d’humidité et non la quantité de combustible qui constitue le facteur essentiel à l’expansion du feu.
Ces résultats promettent de faire du bruit dans le contexte actuel de réchauffement climatique et de multiplication des mégafeux. Car aujourd’hui, l’écrasante majorité des herbivores sont des animaux d’élevage. « Même s’ils ne sont pas fonctionnellement équivalents à des communautés sauvages diverses, ils réduisent les surfaces brûlées », assure l’article.
A l’inverse, « nous savons bien que le bétail impose une très forte empreinte carbone, due tout à la fois au CO2 et au méthane, insiste Carla Staver, maîtresse de conférences en écologie et en biologie évolutive de Yale et coordinatrice de cette recherche. Alors il va falloir faire les calculs attentivement. Et garder en tête qu’une source d’émission peut en remplacer une autre. » Réduire le bétail pour diminuer le rejet de gaz à effet de serre ou le conserver et même le protéger pour éviter une explosion des mégafeux ? « La question est intéressante », juge tranquillement Carla Staver. Brûlante serait plus juste.