Le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui s’est tenu à Marseille du 3 au 11 septembre, a réuni des milliers de spécialistes et défenseurs de l’environnement du monde entier, tous présents pour dresser le bilan, terrible, de l’état de notre biodiversité ; 30 % des 138 374 espèces évaluées sur la liste rouge des experts de l’UICN sont désormais considérées comme menacées de disparition.Dans cette course contre la montre, l’UICN a encore rappelé que tous les acteurs de la conservation doivent se mobiliser pour lutter contre l’érosion de la biodiversité. Y compris les institutions zoologiques. A quelques mètres du pavillon France, où s’est exprimée à plusieurs occasions Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, on pouvait découvrir les actions des membres de l’Association mondiale des zoos et aquariums (WAZA) ainsi que ceux de son pendant européen (EAZA), de même que l’Association française des parcs zoologiques (AFdPZ), sur le terrain et au sein de leurs institutions.
Un débat stérile
Les institutions zoologiques sont au cœur du mouvement – « Reverse the red », un programme basé sur des faits scientifiques – lancé par l’UICN pour lutter contre la disparition des espèces.
En France, dauphins et orques se retrouvent depuis plus de sept ans au centre d’un débat stérile opposant une vision teintée d’idéologie animaliste et une vision qui se veut basée sur une analyse scientifique de faits observables et de constats mesurables dans le but d’assurer le bien-être des animaux. Dernier épisode de ce qui ressemble de plus en plus à un feuilleton : l’annonce, le 29 septembre 2020, par Barbara Pompili, de la fin des dauphins dans les zoos, sous sept ans, et de leur replacement dans des « sanctuaires ». Sans que soit précisé ce que l’on entend par ce terme, ni que des garanties scientifiques soient apportées sur les conditions permettant leur bien-être.
Nous, signataires de cette tribune, sommes témoins des conditions offertes aux animaux en institutions zoologiques et de leur utilité pour sensibiliser le plus grand nombre aux menaces grandissantes que nous les voyons affronter dans leur milieu naturel, tout particulièrement les dauphins et les marsouins. Selon l’évaluation la plus récente de l’UICN et du groupe de travail « baleines-dauphins », 46 % des baleines et des dauphins dans le monde sont considérés comme vulnérables, gravement menacés ou menacés d’extinction.
Contributions majeures
En 2006, le dauphin de Chine, ou Baiji, était déclaré éteint ; en 2017, il ne restait que 92 dauphins de l’Irrawaddy vivant dans le Mékong ; en octobre 2019, on ne comptait plus que neuf marsouins vaquitas dans le golfe de Californie ; en novembre, au Brésil, on ne comptait plus que 600 dauphins tursiops Lahille, et la population de dauphins à bosse de l’Atlantique diminue de moitié chaque année en Afrique. On estime que les prises accidentelles dans les filets font disparaître, en Amérique du Sud, plus de 4 000 dauphins de la Plata et, plus proche de nous, sur les côtes françaises, 10 000 dauphins communs chaque année.
Nous, éthologues, vétérinaires, biologistes, spécialistes de l’anatomie et de la cognition des delphinidés, contribuons activement, pour certains depuis plus de soixante ans, à augmenter nos connaissances sur ces animaux. Besoins énergétiques, reproduction, soins maternels, perception de l’environnement (avec, par exemple, la découverte et l’étude du sonar) ou encore modélisation de l’impact de la pollution sont des exemples parmi tant d’autres de contributions majeures des institutions zoologiques pour comprendre la physiologie et le comportement de ces animaux, mettre en place des outils et des mesures de protection adaptés afin d’aider les populations sauvages.
Les plus grands spécialistes de la sauvegarde des cétacés se sont regroupés au sein de l’ICPC (Integrated Conservation Planning for Cetaceans), un groupe de travail de l’UICN qui propose une liste d’actions concrètes au service des dauphins et des marsouins. Comme c’est le cas pour tous les autres animaux sauvages menacés, ces chercheurs s’inscrivent dans la « One Plan Approach », c’est-à-dire une volonté de mobiliser tous les spécialistes, ici ceux des mammifères marins, présents sur le terrain ou en institutions zoologiques.
Nous, scientifiques spécialisés dans l’étude des mammifères marins et acteurs de leur sauvegarde, cosignons cette tribune pour rappeler que le potentiel scientifique que constituent les zoos modernes hébergeant des cétacés doit non seulement être préservé, mais être encouragé au moment où ce travail est reconnu comme indispensable par les plus hautes autorités internationales de protection de l’environnement.
Quel devenir pour les dauphins français ?
Nous voulons également partager notre inquiétude quant au devenir des dauphins français qui se reproduisent naturellement dans les zoos modernes. Plus de 90 % des individus y sont nés et les prélèvements en milieu naturel sont interdits en Europe depuis plus de trente ans. Ni dans le projet de loi visant à lutter contre la maltraitance animale examiné le 22 septembre au Sénat, ni dans les annonces de Barbara Pompili n’est proposée pour eux de solution d’hébergement aussi convaincante en matière de respect du bien-être animal que celle offerte par les institutions zoologiques modernes.
Les nombreuses campagnes de dénigrement contre les institutions zoologiques, tout particulièrement celles hébergeant des cétacés, éloignent toujours plus le regard du grand public du véritable défi commun à tous : enrayer la perte de biodiversité sur terre et en mer.
Ne mélangeons pas animalisme et protection de l’environnement. Basons nos décisions sur une image complète et réaliste de la crise actuelle du vivant. Plutôt que d’interdire et détruire, travaillons sur un cadre légal garantissant le bien-être des animaux dans les zoos modernes et incitant à toujours plus de recherches au service de la conservation. C’est ainsi que nous comprenons les nombreux messages et les déclarations porteuses d’espoir qui ont été adressés au Congrès mondial de la nature à Marseille.