Agnès Lewden, jeune chercheure de l’Université de Bretagne Occidentale, a rejoint du 14/11/2022 au 08/02/2023 la station scientifique polaire de Dumont d’Urville afin d’étudier la thermorégulation des manchots.
Son travail s’inscrit dans le cadre du projet scientifique «Les manchots Adélie, bioplateformes de l’environnement marin», soutenu depuis de nombreuses années par l’Institut polaire français.
Sa mission ? Comprendre comment les conditions environnementales influencées par les dérèglements climatiques impactent les manchots en fonction de leur stade de vie et du milieu aquatique ou terrestre dans lesquels ils évoluent.
Agnès Lewden, Docteur en éco-physiologie animale à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) au laboratoire des Sciences de l’Environnement Marin (LEMAR), cherche à comprendre comment les manchots régulent leurs températures corporelles alors qu’ils évoluent toute leur vie dans deux environnements radicalement différents.
Tandis qu’ils passent plus de 9 mois en mer, dans les eaux glaciales de l’océan Antarctique, ils reviennent à terre se reproduire tous les ans où ils rencontrent des conditions environnementales désormais changeantes.
Avec plus de 10 ans d’expérience auprès de ces oiseaux polaires, Dr Agnès Lewden a à cœur d’utiliser les techniques les moins invasives possibles pour les étudier.
L’imagerie thermique est l’une d‘entre elle car elle permet de connaître en une seule photo les températures à la surface du corps d’un individu.
Quelle technique utiliser sans être invasif pour les animaux ?
Collecter des données grâce à des photographies de manchots ? Facile, non ?
Oui… mais non ! De par leurs formidables adaptations à la vie aquatique, les manchots ont un plumage dense qui perturbe la lecture des images thermiques.
Face à cette contrainte, Agnès a pu profiter du soutien de toute l’équipe d’Océanopolis afin d’éprouver un nouveau dispositif de gélule ingérable mesurant la température des oiseaux en direct.
Cette gélule, sans danger pour l’animal, a été pour la première fois intégrée au repas d’un manchot d’Océanopolis et la chercheure a pu constater le bon fonctionnement du matériel et le rejet de cette dernière par voie naturelle.
Partir pour l’Antarctique : une logistique dense et rythmée pour quelques mois d’étude sur le terrain
Après ces tests concluants et l’obtention de toutes les autorisations éthiques, Agnès a pu envoyer le matériel scientifique dès le mois de juin : direction la terre Adélie.
Et pas question d’oublier les piles ou le câble du chargeur car dans ces conditions isolées, il n’y pas de magasin !
Les listes de vérifications se multiplient ainsi que les achats de pièces de rechanges, que complèteront les astuces acquises sur le terrain et quelques incontournables à toujours avoir sur soi.
L’acheminement de tout ce matériel ainsi que la gestion des projets scientifiques sur le terrain, réalisés par l’Institut polaire français, lui a permis de disposer de ses affaires à son arrivée sur la base scientifique française au mois de novembre.
Sur place, plus question de week-end ni de jours fériés, il faut faire avec les conditions météorologiques durant 3 mois.
Et cette année, les conditions ont été difficiles. Ce ne sont pas moins de 5 tempêtes dont 3 classées par Météo France (plus de 3 heures consécutives avec des vents moyens de 50 nœuds pour avoir droit au titre) qui ont confiné la scientifique dans le laboratoire sur la base.
Les vents violents déséquilibrent les biologistes sur les rochers tandis que les chutes de neige éprouvent aussi le matériel scientifique qu’il faut ménager pour qu’il tienne toute la durée de la campagne.
Et puis difficile d’identifier les individus quand ces derniers se retrouvent ensevelis sous la neige.
Pour survivre face au froid, les manchots sont habitués à intégrer une grande complexité de paramètres environnementaux et physiologiques …
Les mesures qui ont été faites sont passionnantes car elles révèlent toute la complexité des différents paramètres environnementaux mais également physiologiques que les manchots ont à intégrer pour la bonne gestion de leur propre organisme et de leur progéniture (œufs puis poussins).
Selon les premiers résultats de l’étude, les manchots adultes régulent leurs températures corporelles en fonction de l’ensoleillement mais également en fonction de leurs séjours à terre correspondant à une période de jeûne.
Ainsi, plus la durée du jeûne se prolonge, plus la température interne des individus va diminuer afin d’économiser leur énergie et prolonger le plus longtemps possible cet état de jeûne jusqu’à la relève de leur partenaire.
Du côté des poussins, ils montrent des variations de températures plus importantes en fonction des conditions environnementales soulignant l’isolation imparfaite de leurs plumages de juvénile et leurs vulnérabilités durant cette phase de croissance.
En mer, la scientifique a pu mesurer des variations de températures importantes chez les adultes qui varient entre l’ingestion de proies froides, chute de la température, et la ré-augmentation rapide de ces dernières influencées par l’activité physique de nage et physiologique de digestion.
… mais cela devient de plus en plus difficile à cause du dérèglement climatique et son lot d’événements imprévisibles : œufs noyés, adultes ne pouvant pas supporter de longues activités de marche…
Au-delà de l’image simpliste du réchauffement climatique qui véhicule l’idée fausse d’une augmentation homogène des températures à l’échelle de la planète, les scientifiques parlent d’un dérèglement climatique induit par les perturbations anthropiques conduisant à des évènements imprévisibles et changeants.
Et ce fut encore le cas cette année en terre Adélie avec non pas des températures plus élevées mais des précipitations de neige les plus importantes de ces 30 dernières années et un ensoleillement plus faible.
Alors difficile de mettre en place une stratégie d’adaptation lorsqu’il s’agit de faire face tous les ans à des événements imprévisibles.
Aux conditions terrestres viennent également s’ajouter les conditions que les animaux rencontrent en mer.
La quantité de ressource alimentaire disponible, dans le cas des manchots le Krill, ainsi que son accessibilité sont des facteurs cruciaux pour le succès reproducteur du manchot Adélie.
Ainsi en 2013, l’absence totale de poussins Adélie à la fin de la saison de reproduction avait été attribuée à la trop grande distance de banquise à parcourir par les adultes à pied pour revenir au nid.
D’ailleurs les résultats d’Agnès le montrent, les manchots ne sont pas faits pour marcher de longues distances, leurs températures augmentant rapidement lors d’une activité de marche.
Source : Université de Bretagne Occidentale (UBO) via MediaConnect