Le rétrécissement des oiseaux est, selon une étude, directement corrélé à la température des zones de reproduction.
Les oiseaux sont-ils voués à devenir de plus en plus petits ? C’est ce que suggère une étude publiée dans la revue Ecology Letters, mercredi 4 décembre, rendant compte du travail minutieux d’un chercheur américain du Field Museum de Chicago.
Chaque jour depuis 1978, au printemps et à l’automne, Dave Willard s’est levé à 3 h 30 du matin pour recueillir des oiseaux morts, écrasés contre les fenêtres des bâtiments de la ville. « Cela a commencé comme une étude très informelle, se souvient le chercheur. J’ai récupéré ces oiseaux par curiosité, un matin, et je me suis mis à enregistrer plusieurs de leurs caractéristiques comme leur taille, leur masse, la longueur de leurs pattes. » Le travail s’est poursuivi pendant quarante ans avec l’aide de scientifiques et de bénévoles du Field Museum de Chicago et de l’université du Michigan.
Cette tenue de notes méticuleuse a porté ses fruits. En analysant les données récoltées, les scientifiques ont découvert qu’au cours des quarante dernières années, les oiseaux ont vu leur taille diminuer. Selon les chercheurs, cette évolution serait probablement liée au changement climatique.
Passereaux, tourterelles, oiseaux moqueurs… Pour arriver à ces conclusions, les scientifiques ont collecté, au fil des années, plus de 70 000 oiseaux qui se sont écrasés sur le centre de convention McCormick Place et d’autres bâtiments du centre-ville de Chicago. Selon leurs résultats, la masse corporelle des oiseaux et la longueur des os de leurs pattes a diminué respectivement de 2,4 % et 2,6 % entre 1978 et 2016. Dans le même temps, les ailes des oiseaux se sont allongées de 1,3 %. « Ce qui nous a frappés, explique Brian Weeks, professeur à l’université du Michigan et premier auteur de l’étude, c’est que l’ensemble des spécimens représentent 52 espèces qui, pourtant assez différentes en termes d’habitats, d’alimentation et de migration, ont toutes réagi sensiblement de la même manière. »
Une modification « réversible »
Le rétrécissement des oiseaux est, selon l’étude, directement corrélé à la température des zones de reproduction. « Nous avons observé, en plus de cette tendance générale liée à l’augmentation globale de la température, des variations à plus court terme, avance Brian Weeks. Sur certaines années, où la température moyenne s’abaissait, la masse des oiseaux augmentait de nouveau légèrement. » Ce qui prouve, selon l’auteur de l’étude, que non seulement les oiseaux réagissent rapidement aux variations de température mais également que la modification de leur taille est « réversible ».
Et ces résultats ne sont pas étonnants, selon les chercheurs, car ils suivent la règle de Bergmann. Ce principe, en zoologie, corrèle la température de l’environnement avec la masse du corps chez les animaux homéothermes – ceux dont la température reste constante. Ainsi, les individus d’une même espèce qui vivent dans les climats froids, tendent à avoir une masse corporelle plus importante que ceux qui vivent dans une région plus chaude. En effet, quand la masse augmente, le ratio entre la surface exposée à l’air et le volume décroît en proportion. Puisque la chaleur est dissipée en surface, une masse plus grande conserve mieux la chaleur.
Comment expliquer alors, qu’à l’inverse du reste de leur corps, les ailes des oiseaux s’allongent ? « C’est assez simple, explique Brian Weeks, plus les oiseaux sont petits, plus la migration leur est difficile. Pour compenser leur taille, leurs ailes ont grandi afin de rendre leur voyage moins éprouvant. »
Ce résultat est cohérent avec celui d’une étude similaire réalisée en 2018 sur des populations d’oiseaux en France. Pierre-Yves Henry, coauteur de la publication française et professeur au Muséum national d’histoire naturelle, confirme l’intérêt du rapport américain. « C’est une des rares publications dont la collecte de data est effectuée de la même manière, par les mêmes personnes, au même endroit pendant quarante ans. »
« Résilience »
Cette étude est d’autant plus intéressante que les chercheurs, en collectant les animaux, ne s’attendaient pas à trouver ces résultats. « Lorsque nous avons commencé à recueillir les données analysées dans cette étude, nous nous posions quelques questions simples sur les variations annuelles et saisonnières chez les oiseaux, explique Dave Willard. L’expression “changement climatique” en tant que phénomène moderne était à peine à l’horizon. » Selon les scientifiques américains, les résultats de cette étude soulignent combien il est essentiel de disposer de données à long terme pour identifier et analyser les tendances induites par les changements de notre environnement.
« Désormais, il est important d’effectuer ce genre de recherche mais sur des échelles beaucoup plus grandes pour confirmer ou infirmer ces hypothèses à l’échelle planétaire », soutient Pierre-Yves Henry. Et selon les chercheurs américains, la tendance constatée dans l’étude ne peut qu’être observée ailleurs. « Notre étude porte sur les oiseaux en Amérique du Nord, rappelle Brian Weeks, mais il est très probable que la même chose soit observable dans le monde entier et sur une grande partie des espèces animales, voire végétales. »
En mars 2019 déjà, une étude sud-africaine avait trouvé des résultats similaires lors de recherches menées sur la Bergeronnette à longue queue. De même, en 2009, une étude avait démontré une réduction de la masse corporelle des poissons liée à la température des océans. « D’une certaine manière, ces résultats sont optimistes, poursuit le chercheur américain, car ils prouvent que les animaux sont capables de résilience et s’adaptent dans des conditions de changement rapide. La question maintenant est de savoir jusqu’à quel point ces animaux pourront réellement s’adapter. »
Le Monde 6 décembre/Clémentine Thiberge
photo : Les oiseaux récupérés, morts, dans le centre-ville de Chicago ont été étudiés au Field Museum. FIELD MUSEUM, KAREN BEAN