Pendant les tempêtes qui ont récemment sévi en Californie, des amoureux de la nature ont retenu leur souffle : les papillons monarques en plein hivernage allaient-ils survivre ? Ces insectes difficiles à protéger sont surveillés de près depuis qu’ils ont quasiment disparu de la région en 2020.
Dès que le soleil a repris ses droits, les bénévoles ont recommencé à compter les papillons agglutinés au sommet des cyprès.
Plus de 330.000 papillons monarques dits « occidentaux », un « soulagement »
Suspendus aux branches, ils se rassemblent en colonies, formant de longues grappes grises avec des tâches oranges quand l’un d’entre eux déploie ses ailes. Stephanie Turcotte Edenholm est un peu rassurée : elle en a compté plus d’un millier en diapause (quand l’organisme fonctionne au ralenti) et une centaine actifs sur le sanctuaire de Pacific Grove, une petite ville de la côte californienne, à côté de Monterey.
Cette éducatrice vient de passer la matinée à expliquer la vie des monarques à des élèves d’école primaire. Ils ont pu admirer le moment où des dizaines de papillons s’envolent, croyant — à tort — que les températures douces signalent la fin de l’hiver. « C’est trop tôt pour qu’ils s’agitent autant, ils utilisent leurs réserves de graisse », s’inquiète la naturaliste.
Lors du grand décompte de Thanksgiving fin novembre, d’après l’association Xerces, les bénévoles ont dénombré plus de 330.000 monarques dits « occidentaux », l’espèce prédominante sur la côte ouest.
« On reste loin des millions observés dans les années 1980 »
Un soulagement par rapport aux 2.000 individus recensés fin 2020 et aux quelque 250.000 de 2021. « Mais on reste loin des millions observés dans les années 1980 et ils sont vulnérables à la perte de leur habitat, aux pesticides et au changement climatique », rappelle l’association de conservation des invertébrés.
Pour ces raisons, le monarque a été ajouté l’été dernier à la liste rouge des espèces en danger d’extinction de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Xerces a aussi demandé au service américain de la pêche et de la faune sauvage de le placer sur sa propre liste des espèces menacées et espère une réponse positive en 2024.
Cela faciliterait sa tâche face aux projets de promoteurs immobiliers qui veulent raser des arbres où s’abritent les papillons voyageurs.
Mais pourquoi autant d’investissement pour protéger ce lépidoptère ? « C’est une question philosophique. (…) Car ce ne sont pas des pollinisateurs cruciaux. On ne perdrait pas des cultures humaines ou de plantes sauvages en particulier si les monarques disparaissaient », reconnaît Emma Pelton, biologiste de Xerces. « Mais on perdrait les monarques. Des insectes qui réalisent une migration vraiment incroyable et auxquels les gens sont très attachés, émotionnellement et culturellement, dans toute l’Amérique du Nord ».
Certaines espèces parcourent en effet des milliers de kilomètres, du Canada au Mexique.
Le bon équilibre pour aider la nature est difficile à trouver
Bill Henry se souvient des nuées de papillons autour de lui, quand il était enfant : « C’était magique, comme dans un rêve ». Aujourd’hui directeur de l’association Groundswell Coastal Ecology, à Santa Cruz, une autre ville de la baie de Monterey, il défend les monarques par principe et aussi en tant que marqueurs de la bonne santé d’un écosystème.
S’ils vont bien, cela signifie qu’ils ont des « ressources abondantes pour se nourrir et se reproduire » et donc que « les rivières et les fleurs sauvages » se portent bien, explique-t-il. « Cela veut aussi dire qu’il n’y a pas trop d’impasses sur leur chemin, comme de grands espaces couverts de pesticides et que les températures n’ont pas radicalement changé« , ce qui perturberait leur cycle de vie.
En 2020, la quasi-absence de monarques sur la côte a suscité une large mobilisation, des jardiniers qui ont planté des asclépiades aux amateurs qui ont élevé des papillons chez eux, une pratique illégale.
Mais le bon équilibre pour aider la nature est difficile à trouver : les monarques raffolent des eucalyptus, par exemple. Cependant, ces arbres ne sont pas natifs de Californie et boivent beaucoup trop d’eau pour l’Etat prédisposé aux sécheresses. Il faut aussi choisir entre réduire le risque des feux de forêt en retirant une partie de la végétation et abîmer l’habitat des papillons.
Ce qui serait « trop nul« , estime Brody Robbins. Cet adolescent de Santa Cruz fait l’école buissonnière avec deux amis, pour prendre en photo les monarques sur l’un des sites protégés. « Les papillons sont beaucoup plus cools que les cours sur la guerre de Sécession », assure-t-il.