Durant plus de deux ans, la goélette scientifique Tara a collecté dans l’océan Pacifique des milliers d’échantillons qui nous ouvrent aujourd’hui une fenêtre sur la vie microscopique des récifs coralliens. Huit premiers articles parus dans Nature montrent que les espèces de micro-organismes y sont foisonnantes, que certaines bactéries spécialisées y vivent en symbiose avec le récif et que les coraux, qui peuvent perdurer plusieurs siècles, pourraient toutefois être affectés par la multiplication des stress, notamment climatiques.
« Les récifs coralliens sont l’équivalent océanique des forêts primaires par leur foisonnement de vie, explique Denis Allemand, directeur scientifique du Centre Scientifique de Monaco et co-directeur de l’expédition Tara Pacific dédiée à l’étude du microbiome océanique dans l’océan Pacifique. Cette explosion de vie est due à la symbiose avec des micro-algues, mais aussi avec des bactéries, virus et autres organismes. C’est ce que l’on appelle un holobionte : un organisme qui vit avec avec et aux dépens d’autres micro-organismes qu’il héberge. »
« Entre 2016 et 2018, la mission Tara Pacific a parcouru 100.000 km pour collecter quelque 68.000 échantillons dans 99 récifs différents issus de 32 systèmes insulaires du Pacifique, un océan qui abrite 60% des récifs coralliens mondiaux, expose Denis Allemand. On a ainsi prélevé l’eau du lagon, autour des colonies, autour du récif, du tissu de corail pour des études moléculaires, des échantillons de squelette pour reconstituer son passé, des échantillons d’air au-dessus du récif, des photos, etc. Il a ainsi été possible de mesurer l’ampleur de la diversité des états physiologiques, entre les récifs situés auprès des activités humaines et ceux qui en sont éloignés, avec des récifs sains et d’autres subissant des stress à répétition. »
L’analyse de ces échantillons a donné lieu à huit premières publications scientifiques publiées jeudi 1er juin 2023 dans Nature Communications. L’une d’entre elles montre que la diversité des micro-organismes de ces récifs coralliens (leur microbiome) pourrait atteindre une valeur proche de la diversité totale estimée jusque-là des micro-organismes sur Terre. « Il y a une diversité fascinante dans ces récifs, s’enthousiasme Pierre Galand, chercheur à l’Observatoire Océanologique de Banyuls et auteur de deux des études publiées. On peut en déduire que l’estimation de la diversité des micro-organismes sur Terre a été sous-évaluée. »
« Nous avons découvert trois nouvelles espèces de bactéries associées chacune à une espèce de corail »
Au cours des 2,5 ans d’expédition, l’équipe de Pierre Galand a effectué un prélèvement exceptionnel de près de 5 400 échantillons de trois espèces de coraux (corail de feu en plaques, Porites lobata, et pocillopore méandreux), de deux espèces de poissons (chirurgien-bagnard et idole maure), et de plancton. Les lauréats des microbiomes les plus diversifiés sont : le plancton, le corail de feu en plaques chez les coraux, et l’idole maure chez les poissons. Le séquençage de ces échantillons a aussi permis de déterminer et de cartographier la composition du microbiome des récifs. « Nous avons ainsi découvert trois nouvelles espèces de bactéries associées chacune à une espèce de corail. Il semble qu’il y ait eu une coévolution depuis des temps anciens entre le corail et sa bactérie : celle-ci produit une vitamine B que le corail ne produit pas et qui lui est nécessaire, ainsi que des acides aminés. » Chaque espèce de corail a ainsi une bactérie abondante associée, mais également un large éventail d’autres bactéries communes à tous les récifs coralliens.
Le plus grand corail au monde serait âgé de quatre à six siècles !
Une autre étude s’est penchée sur le vieillissement du corail, dont les propriétés pourraient un jour être appliquées aux problématiques médicales du grand âge. Le plus grand corail au monde, un Porites de huit mètres de haut, serait en effet âgé de quatre à six siècles ! « Nous avons étudié les marqueurs de l’état de santé de quelques coraux présents sur l’ensemble du Pacifique et effectué une analyse multimarques – à l’instar d’une prise de sang – pour évaluer l’état de santé de ces récifs, détaille Paola Furla, chercheuse à l’Ircan (Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement de Nice) et à l’université Côte d’Azur. L’étude a montré que la longévité de deux types decoraux durs est liée à la stabilité et à la robustesse des extrémités télomériques de l’ADN (un marqueur de santé et de vieillissement sensible à l’environnement, ndlr). Les modifications de longueur télomérique ne sont pas liées à l’âge mais aux perturbations climatiques passées : notamment les vagues successives de chaleur et de refroidissement liées à El Niño et El Niña. Cela montre que les coraux sont capables d’ajuster leur équilibre nutritif pour s’adapter à l’environnement et ses changements. Mais est-ce que sera encore le cas demain, alors que s’intensifient les changements globaux ? Car si ces espèces régulent bien leur vieillissement, elles sont sensibles aux différents stress environnementaux. »
Les récifs coralliens constituent aujourd’hui un enjeu écologique majeur : ils abritent, sur une surface équivalente à celle de l’Allemagne, 70.000 espèces et 30% de la vie marine. Mais, selon les experts du Giec, ils devraient disparaître d’ici la fin du siècle si le réchauffement climatique se poursuit au même rythme qu’aujourd’hui.
Source : Sciences et Avenir