Contrairement à plusieurs associations, France Nature Environnement est vent debout depuis la sortie du nouveau jeu à gratter «Mission Nature», censé aider financièrement la lutte pour la sauvegarde de la biodiversité.
Sur le papier, le projet est séduisant. A l’aide d’un simple ticket à gratter, et pour la modique somme de trois euros, n’importe quel Français peut aider à sauver les tortues en Martinique, préserver le gypaète barbu dans les Alpes, restaurer des gîtes à chauve-souris dans le Sud. En partenariat avec la Française des jeux (FDJ), le gouvernement a lancé lundi 23 octobre un nouveau jeu d’argent baptisé Mission Nature. Ce ticket est censé permettre à l’Office français de la biodiversité (OFB) de récolter près de 6 millions d’euros et de financer les 20 projets sélectionnés pour leur lien avec la restauration de la biodiversité. «Sensibiliser», «protéger», simple «bonus» financier : si le gouvernement et certaines associations ne tarissent pas d’éloges sur cette initiative, Antoine Gatet, président de France Nature Environnement, se veut beaucoup plus critique.
Depuis le déploiement de ce ticket à gratter dans les buralistes, vous mettez en garde les Français contre une «arnaque à la biodiversité», pourquoi ?
Des financements, il n’y en a pas assez, nous en avons besoin, il ne s’agit pas de dire le contraire. Tous les projets sélectionnés sont super et méritent d’être financés. Il s’agit de questionner le modèle que l’on nous propose. La biodiversité mérite un vrai programme de financement, pas d’être tributaire des jeux de hasard et d’argent. La seule idée qui soit sortie pour financer la sauvegarde de la biodiversité est celle d’un jeu à gratter ? Pour nous, c’est une mauvaise idée, ce n’est pas opportun. C’est dommage de déployer autant de communication et de moyens sur ce projet. Cela peut laisser croire qu’ils font quelque chose en faveur de la biodiversité, alors que ce n’est pas comme ça que l’on va protéger la nature. Et considérer que l’on fait de la sensibilisation en faisant gratter des gens au tabac-presse du coin, c’est se tromper.
La secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, Sarah El Haïry, prône une «écologie de proximité», avec la présence sur chaque ticket d’un QR Code à flasher pour découvrir les projets financés. C’est une forme de sensibilisation, non ?
D’autant plus que ce type de support pose des questions éthiques d’addiction…
Notre position critique s’est renforcée lorsque nous avons lu l’avis de l’Autorité nationale des jeux (ANJ), une instance indépendante qui se prononce sur tout projet de déploiement de nouveau jeu d’argent et de hasard. Elle mettait en garde sur le danger d’attirer des plus jeunes, d’accentuer leur addiction aux jeux [selon l’ANJ, ce loto de la biodiversité risque de «favoriser le jeu des mineurs ainsi que celui des plus jeunes adultes, particulièrement sensibles à cette problématique et qui constituent un public vulnérable du point de vue du risque de jeu excessif ou pathologique», ndlr].
Le rôle de la biodiversité n’est pas de renforcer ces addictions aux jeux mais de créer un monde vivable et sain pour tous. Il y a plein de manières pédagogiques pour parler de la biodiversité. En parallèle, sur le terrain, les associations ont tellement de mal à mettre en place des actions concrètes de préservation de la biodiversité… Alors que l’on parle de vraies personnes, de vraies actions, qui comptent pour la nature.
L’Etat s’est donc trompé de combat en créant ce jeu à gratter ?
L’intention est la bonne, de donner de la visibilité à la biodiversité. Mais la question c’est : peut-on le faire à tout prix ? Il y a besoin de 500 à 600 millions d’euros par an pour financer la stratégie nationale biodiversité et la stratégie nationale pour les aires protégées. Si nous nous décidons enfin à mettre en place une taxation du kérosène en France, pour les vols intérieurs uniquement, l’Etat récupérerait 500 millions d’euros par an. Nous pouvons donc, en théorie, financer la sauvegarde de la biodiversité uniquement avec cette taxe.
Autrement, on préférerait que l’Etat mette des sous afin de développer l’action associative, le sentiment d’être actif lorsque l’on s’engage ou que l’on soutient financièrement une association locale. Quand on adhère à une association, le plus souvent à prix libre, on est informés en continu, toute l’année, des actions locales, des sorties naturalistes pour découvrir la nature, et ça c’est vrai en Ile-de-France, dans les autres régions, et dans les Outre-mer. On préférerait que cet argent soit directement donné aux associations, sans passer par le grattage. On toucherait plus de monde, et de façon plus durable.