Les régions Centre Val-de-Loire, Nouvelle-Aquitaine, Bourgogne et Normandie ont été marquées par des signalements de loups à plusieurs reprises, s’ajoutant aux régions plus anciennement fréquentées comme les Alpes, le Massif central, le Grand Est et les Pyrénées.
Le loup est de retour sur notre territoire. Comment cohabiter harmonieusement et avec sérénité avec cet animal sauvage ?
Le loup est un animal sauvage fascinant. Dans son dernier livre Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble (Ed HumenSciences), l’éthologue et écologue Pierre Jouventin le décrit avec passion.
Sa couleur, sa taille, son poids varient selon les régions, par adaptation au milieu
Les loups sont plus clairs dans la neige ou le sable et plus sombres en forêt, ce qui les rend moins visibles par les proies ; ils sont plus grands dans les régions arctiques et résistent mieux au froid, plus légers dans les déserts brûlants, ce qui leur permet de mieux dissiper la chaleur. Ainsi, un loup de la Péninsule arabe pèse 16 kg, alors qu’un loup arctique peut dépasser 80 kg et son pelage est un tel isolant que la neige ne fond même pas sur sa fourrure. On ne compte pas moins de vingt à quarante sous- espèces (ou races géographiques) chez Canis lupus. Sa capacité de reproduction est considérable et varie selon les conditions. Le taux de croissance de ses effectifs peut augmenter de 15 à 50 % chaque année : la population peut doubler en cinq ans si la nourriture est abondante et la mortalité faible. Il est un coureur de fond qui se déplace dans deux dimensions. Un loup peut dépasser 50 km/h. Son endurance surtout est remarquable : il est capable de parcourir 70 kilomètres dans la nuit. Coursé, il peut parcourir 200 kilomètres en 24 h.
Ce qui fait l’originalité principale du loup et la clef de son adaptabilité, c’est la souplesse de sa vie sociale. Il peut vivre en solitaire et coloniser ainsi un nouveau territoire, mais il vit habituellement dans une meute territoriale, organisée autour d’un couple et de ses jeunes. Le loup est aussi écologiste. Le parc national de Yellowstone qui couvre près de 9 000 kilomètres carrés a été le théâtre d’une expérience naturelle qui a modifié la conception que l’écologie scientifique se faisait du rôle des grands prédateurs et en particulier du loup. Les loups ont migré de leur statut de « nuisibles » à celui d’animaux « écologiques » ! Le superprédateur placé au sommet de la pyramide alimentaire se révèle avoir un rôle structurant sur la faune et même la végétation locales, favorisant l’apparition et le maintien de nouveaux écosystème.
Vers une gestion durable et une cohabitation avec le loup ?
Une grande enquête a été menée par le cabinet de conseil Savanta ComRes dans six États membres de l’Union européenne (France, Allemagne, Italie, Espagne, Pologne et Finlande) à la demande d’Eurogroup for Animals qui fédère soixante-dix ONG18. Selon ce sondage de février 2020, 84 % des Français interrogés soutiennent la stricte protection de Canis lupus et 76 % reconnaissent les bénéfices de cette espèce pour l’écosystème dans lequel elle évolue en régulant les populations des espèces proies telles que les cervidés. 57 % déclarent même que l’abattage des loups est rarement ou jamais acceptable lors d’attaques sur des animaux d’élevage et 55 % ne l’estiment pas nécessaire pour contrôler la taille de leur population !
Seuls 33 % pensent que les loups représentent un risque pour l’Homme. Alors comment cohabiter avec le loup ? Le géographe Farid Benhammou est à l’initiative de la Tribune : « Grands carnivores, biodiversité et agriculture : Réveillez-vous ! « publiée en novembre dernier dans Libération. Cette Tribune appelle pour une cohabitation durable apaisée avec les grands carnivores et la faune sauvage en France.
Avec nos invités pour en parler
- Farid Benhammou est géographe, chercheur associé au Laboratoire ruralités de l’université de Poitiers, enseignant en classes préparatoires et Co-fondateur du collectif GATO (Géographie, Animaux non humains et TerritOires).
- Ethologue et écologue, Pierre Jouventin est directeur de recherche émérite au CNRS, a dirigé pendant treize ans un laboratoire CNRS d’écologie des animaux sauvages. Il est l’auteur de “« le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble » Ed HumenSciences ».
Extraits de l’entretien
Combien sont-ils ?
Pierre Jouventin : « Tous les animaux sauvages sont difficiles à compter. Par exemple, on ne sait pas en France, s’il y a un ou deux millions de sangliers. L’évaluation actuellement est de 624 loups. Mais la marge d’erreur est telle ! On peut dire un demi millier. »
Une population stable ?
Farid Benhamou : « Ce sont des estimations. Il faut bien le préciser ce n’est pas un comptage, contrairement à ce qu’ont dit certains politiques. Et 8%, c’est une croissance en baisse. Cela fait deux années, voire trois années consécutives que c’est le cas. »
Comment sont-ils comptés ?
Pierre Jouventin : « Actuellement, il y a des naturalistes qui cherchent où ils se trouvent et qui ensuite le font savoir. Mais, comme maintenant il y a même à peu près un cinquième des loups qui sont tués par une équipe spécialisée, les naturalistes pro-loups donnent de moins en moins d’indications par peur de faire tuer le loup. Ca devient compliqué ! »
Quelle sorte de loups a-t-on en France ?
Pierre Jouventin : « En France, on a le loup classique, le loup gris, le loup commun, mais c’est la sous espèce italienne, c’est à dire que c’est un petit loup qui fait 30 kilos alors que les loups du Nord font 50 kilos. Ce loup commun comprend 20 à 30 espèces, donc il est très varié. »
D’où viennent-ils ?
Farid Benhammou : « Cela fait déjà près de 30 ans que les loups sont en France et ce sont des loups de souche italienne. Ils sont venus naturellement par les Alpes du Sud. Cette année, il y a une nouveauté, c’est qu’il y a un loup qui a été abattu qui, lui, venait d’une souche d’Europe de l’Est. C’était une première. Il a été abattu dans les Vosges. »
Des loups solitaires ?
Farid Benhammou : « Quand on trouve un loup en Normandie, près de Saint-Nazaire, ce sont pour le moment toujours des animaux solitaires car ils sont ce qu’on appelle des « disperseurs ».
Le loup est sédentaire lorsqu’il est en meute, c’est-à-dire en groupe de 2 à 5 personnes. Donc là, il est sédentaire sur 150 à 350 km carrés. Comme la ressource alimentaire n’est pas illimitée, des jeunes sont amenés à partir tout azimut.
Et c’est eux qui vont faire quelques dizaines, quelques centaines de kilomètres, voire des records à des milliers. Et c’est eux que l’on découvre. Jusqu’au moment où ils vont trouver un partenaire du sexe opposé. Et là, si les conditions écologiques le permettent, ils vont s’installer et refonder une meute. »
Pierre Jouventin : « Au départ, les loups étaient adaptés au milieu plat, aux Plaines, mais comme il y a l’homme, ils vont plutôt en montagne. »
Hurler avec les loups ?
Pierre Jouventin : « Oui, ça marche avec les loups. En tout les cas, l’animal réagit instinctivement. D’ailleurs pour compter les loups en laboratoire, on récupère des crottes ou des poils, et par l’ADN, on voit si ce sont des loups différents. Mais sur le terrain, les naturalistes ou les techniciens font les hurlements et le loup répond.
Et grâce à sa réponse, on peut savoir combien de loups il y a, et leurs âges, parce que les jeunes ont une voix différente. Mais, il vaut mieux les imiter correctement. Ils sont volontiers prêts à répondre parce que ces hurlements servent à marquer leur présence sur un territoire. Cela prévient les autres animaux qu’ils ne doivent pas entrer : c’est leur terrain de chasse ! »
Source : France Inter