Samedi 12 septembre se tenait le « vrai faux » procès du loup. Parmi les parties civiles, José Bové, qui refuse que les territoires des éleveurs soient laissés au prédateur.
Pour une fois, il n’était pas dans le box des accusés. Samedi, au tribunal de Florac (Lozère), José Bové s’est mué en procureur pour défendre les éleveurs de brebis menacés par le retour du loup. Voir l’ancien leader de la Confédération paysanne, militant écolo qui ne fait pas mystère de sa sympathie à la cause libertaire, venir défendre l’ordre public contre ce sauvage perturbateur de la paix des campagnes ne manquait pas de sel.
C’est son vieux complice François Roux, avocat historique des paysans du Larzac, qui a eu l’idée d’organiser le « vrai faux procès » du prédateur dans la petite salle du tribunal de la sous-préfecture de Lozère, désaffecté depuis 2009. Une occasion rêvée pour José Bové d’expliciter une position inconfortable, paradoxale, voire contradictoire : comment un député européen écologiste peut-il être contre le loup ?
À la barre, l’ancien éleveur rappelle qu’il a bien failli être jugé en 2012 au tribunal de Mende pour « incitation à la destruction d’une espèce protégée ». Une association de protection de la nature et des animaux avait déposé plainte contre José Bové. « J’avais dit que si j’avais un fusil, je tirerais », raconte l’ex-accusé qui siège aujourd’hui parmi les victimes sur le banc réservé aux parties civiles. La plainte a été déclarée irrecevable, à son grand dam. « On aurait pu avoir notre débat à ce moment-là », regrette-t-il. José Bové évoquera également un premier passage très furtif d’un loup sur le causse du Larzac dans les années 1990. « On a retrouvé sa carcasse sur un clapas. C’est peut-être dommage, mais c’est comme ça », commente sans regret l’ex-leader agricole.
À l’extérieur du tribunal, une poignée d’amis irréductibles du prédateur manifeste sa désapprobation sous la pluie. « José Bové, le vrai tartuffe de l’écologie » proclame une pancarte de ces militants qui n’ont pas été invités à ce faux procès qu’ils jugent indécent. « Aurait-on idée de juger la foudre ou les orages ? » s’indigne Manoël Altman, fondateur d’une petite association locale de défense du loup.
C’est un témoin cité par la défense qui est paradoxalement venu au secours de José Bové. « Je trouve absolument naturel qu’il prenne un fusil pour défendre son troupeau », affirme Farid Benhammou à la barre du tribunal. Ce jeune géographe, qui a consacré sa thèse au retour des grands prédateurs en France, ne partage toutefois pas l’avis des éleveurs qui clament que toute cohabitation des troupeaux avec les carnivores sauvages est impossible.
« La cohabitation, ce n’est pas l’extension infinie du loup », rétorque José Bové. Comme les défenseurs du loup, il partage l’idée qui a dominé les débats pendant toute la journée : le retour de l’animal en France ne pose pas seulement un problème aux éleveurs, c’est un vrai « choix de société ». Mais alors que les écologistes défendent sa place dans la nature, les agriculteurs ripostent en dégainant la culture. Le débat se fait philosophique sur la place de l’homme dans l’environnement. « La nature est une invention humaine », affirme José Bové. « Il n’y a plus d’espace sauvage en France, même le Mont-Blanc est devenu une autoroute à touristes. »
Reprenant l’un de ses couplets favoris, l’homme qui s’est forgé une image planétaire en démontant un McDonald’s à Millau dénonce « la culture cinglée » des USA qui « réinventent la nature » dans leurs parcs nationaux. « Ils en ont chassé les Indiens », souligne le paysan militant, qui, lui, refuse de vivre dans une réserve, un « sanctuaire ». José Bové évoque le parc de Yellowstone, où des loups ont été réintroduits pour réguler les populations d’ongulés. Il raconte ces grands murs en béton élevés en Italie ou les clôtures électrifiées installées en Galice (Espagne) pour protéger les troupeaux contre les loups. « Est-ce que c’est ce que nous voulons chez nous ? » demande l’eurodéputé.
José Bové reprend l’argumentaire des éleveurs sur le rôle des troupeaux dans l’entretien des paysages et la prévention des incendies. « Un éleveur, ça coûte moins cher qu’un Canadair ! » Une formule qui fait mouche à Florac, au cœur du vaste territoire « Causses et Cévennes », classé au patrimoine mondial par l’Unesco en 2011 pour ses paysages caractéristiques de l’agropastoralisme.
Pas de verdict à la fin de ce drôle de procès, mais la reconnaissance que les éleveurs sont bien des victimes et que les mesures prises par les autorités sont insuffisantes. L’essentiel selon le président de cette cour était ailleurs : « que chacun ait pu entendre les arguments de l’autre ».
Source : Le Point.fr