Le défi que représente pour l’humanité l’effondrement de la biodiversité est à traiter avec le même niveau d’importance que le défi climatique, explique un collectif d’experts dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Les chercheurs et les acteurs qui, comme nous, travaillent sur la biodiversité saluent l’initiative prise par le président de la République de relancer, à travers la réunion One Planet Summit, la dynamique portée par l’accord de Paris. Au moment où il apparaît clairement que l’objectif de la limite des 1,5 °C ne pourra probablement pas être atteint, mobiliser les acteurs économiques pour réduire les pressions humaines responsables du changement climatique et contribuer aux processus d’adaptation constituait un impératif. Les engagements pris par les donateurs, les Etats ou des organismes comme la Banque mondiale vont dans un sens positif, et il est important que la France ait joué ici un rôle majeur.
A l’heure où de grands acteurs économiques commencent à se soucier fortement de l’impact de leurs activités sur la biodiversité et alors que le récent appel des 15 000 scientifiques du monde entier a rappelé que l’impact croissant des activités humaines compromet notre avenir, on aurait pu souhaiter que ce sommet traite à la fois de la lutte contre le réchauffement climatique et de la lutte contre l’érosion de la biodiversité.
A l’image d’une étude qui montre que plus de 75 % de la biomasse des insectes volants a disparu au sein d’espaces pourtant protégés en Allemagne, en vingt-sept ans, les travaux scientifiques récents soulignent tous la gravité des atteintes à la biodiversité. Ils montrent également qu’avec une population humaine en croissance la situation va empirer fortement sous les effets cumulés du changement d’usage des terres – au bénéfice notamment de la production agricole –, de la surexploitation des sols, des eaux douces et des poissons marins, du braconnage de certaines espèces remarquables, de l’accroissement des pollutions tant chimiques que physiques (plastiques et microplastiques notamment), lumineuses ou sonores, ou encore de la dissémination d’espèces exotiques envahissantes.
La nécessaire transition énergétique peut aussi engendrer de nouvelles pressions sur la biodiversité plus ou moins importantes selon les filières d’ENR développées. L’ensemble de ces facteurs vient s’ajouter aux effets déjà constatés et croissants du changement climatique sur la biodiversité.
Au niveau international, la plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, l’IPBES, a été créée en 2012 et publiera en mars des évaluations majeures qui devraient éclairer les conséquences de l’accroissement de ces pressions sur les écosystèmes continentaux et sur la dégradation des terres. Qu’en ferons-nous ?
Si le respect des non-humains constitue un enjeu éthique majeur pour l’humanité, il est crucial de comprendre que la dégradation des écosystèmes contribue non seulement aux changements climatiques en accentuant leurs effets, mais est aussi à l’origine de la diffusion de certaines maladies à l’homme, comme ce fut le cas pour le sida et aujourd’hui la maladie de Lyme, ou encore l’ulcère de Buruli, qui est la troisième mycobactériose touchant l’homme après la lèpre et la tuberculose. Or, nous mesurons encore très mal les effets négatifs à long terme de cette érosion de la biodiversité sur le fonctionnement et le bien-être de nos sociétés qui toutes dépendent des services qu’elles retirent de la biodiversité.
Signaux d’alerte
Les catastrophes et effondrements écologiques actuels ne génèrent pas une prise de conscience massive des populations humaines. Consécutivement, les signaux d’alerte transmis par les scientifiques ne se transforment pas en priorité politique à l’échelle mondiale alors même que de plus en plus de citoyens et d’acteurs économiques s’alarment de la situation et des risques que les activités humaines font courir à la nature et au bien-être humain.
Le GIEC fêtera ses 30 ans en 2018. L’IPBES ayant été créée en 2012, faudra-t-il encore attendre plus de vingt ans pour que la communauté internationale se mobilise pour la biodiversité comme elle l’a fait pour le climat ? On peut s’en inquiéter au vu notamment des difficultés financières de l’IPBES qui démontre la frilosité des engagements internationaux. On peut aussi s’inquiéter du fait que les moyens humains et financiers sont pour le moment très largement insuffisants pour décrire en temps réel la dynamique de la biodiversité à l’échelle du globe, et pour, à terme, être capables de modéliser cette dynamique comme le font les climatologues.
Il est donc essentiel que le défi que représente pour l’humanité l’effondrement de la biodiversité soit désormais traité avec le même niveau d’importance et de responsabilité que le défi climatique. M. le ministre Nicolas Hulot a rappelé récemment cette évidence. Il est aujourd’hui temps que la France, dont le rôle en matière de lutte contre le changement climatique est largement reconnu, prenne l’initiative de porter au même niveau de priorité internationale et de mobilisation politique, économique et financière l’urgence de la lutte contre l’effondrement de la biodiversité.
Humains et non-humains constituent conjointement cette biodiversité. Leurs avenirs sont indissociables. La protection et la restauration des écosystèmes qui constituent leurs habitats doivent être mises en œuvre par tous et tout de suite.
Le Monde/Collectif
Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) et directeur de recherche à l’IRD ; Hélène Soubelet, directrice de la FRB ; François Sarrazin, président du conseil scientifique de la FRB et professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie ; Sébastien Barot, vice-président du conseil scientifique de la FRB et directeur de recherche à l’IRD ; Allain Bougrain-Dubourg, du Conseil d’orientation stratégique de la FRB et président de la LPO ; Jean-François Lesigne, vice-président du Conseil d’orientation stratégique de la FRB et attaché environnement de RTE ; Yann Laurans, directeur du programme biodiversité à l’Iddri.