Des scientifiques australiens assurent que le rapace propage volontairement des incendies en transportant des branches incandescentes.
Le milan noir n’a jamais déchaîné la passion des ornithologues. Pas aussi majestueux que l’aigle ni aussi rapide que le faucon, présent un peu partout sur la planète, Amérique exceptée, ce rapace migrateur, bien que protégé en Europe, ne pointe pas sur la liste des espèces les plus menacées. Même son « noir » tiendrait plutôt du brun. Tout juste lui accorde t-on une capacité particulièrement développée à s’adapter à toute sorte de nourriture, des charognes de poissons aux déchets alimentaires, des rongeurs aux petits oiseaux. Avec une spécialité : profiter des incendies pour attraper les gros insectes.
L’article publié par une équipe australienne pourrait bien transformer le volatile en vedette. Dans le Journal of Ethnobiology, elle annonce que trois espèces de rapaces ont appris à maîtriser le feu, ou plus précisément à le déplacer pour s’en servir. Les scientifiques ont rassemblé quelque vingt observations, provenant de divers lieux d’un vaste territoire de 2 500 km sur 1 000 km au nord de l’Australie. Et ils sont formels : comme son cousin le milan siffleur et son plus lointain parent le faucon brun, le milan noir se saisit de branches incandescentes pour allumer des incendies à distance et s’ouvrir une nouvelle zone de chasse.
Comme aiment à le souligner les auteurs, cette découverte… n’en est pas tout à fait une. Depuis des siècles, les mythes aborigènes donnaient ce pouvoir au rapace. « Les rangers aborigènes qui font face aux feux de brousse prenaient déjà en compte le risque causé par les rapaces », insiste l’article. En 2016, Bob Gosford, ornithologue au Central Land Council d’Alice Spring, s’était, du reste, appuyé sur leurs témoignages pour lancer une première fois son annonce. Mais de nombreux biologistes étaient restés sceptiques, notamment sur le caractère intentionnel de l’opération.
Cette fois, les observations rassemblées « ne laissent aucun doute », assurent les auteurs. Elles s’étendent non seulement dans le temps (de 1963 à 2016), mais aussi dans l’espace (Territoires du Nord et Queensland). Surtout, elles proviennent de sources variées. L’équipe livre ainsi de nombreux récits originaux. Deux des signataires de l’article, Dick Eussen et Nathan Fergusson, pompier pour l’un, ancien soldat du feu devenu écrivain spécialisé dans l’environnement pour l’autre, livrent même leurs propres expériences, concordantes et répétées. On y voit les oiseaux saisir des branchages partiellement enflammés dans leurs serres ou dans leur bec et les transporter sur parfois plusieurs centaines de mètres afin d’aider le feu à franchir une route, une rivière ou même un col.
« Le caractère intentionnel me semble acquis, estime Jérome Fuchs, maître de conférence au Museum national d’histoire naturelle. On ne voit pas pourquoi l’oiseau prendrait le risque de se brûler s’il n’y avait pas une intention derrière. C’est remarquable mais finalement pas étonnant. On a bien vu des hérons utiliser des morceaux de pain comme appâts pour pêcher des poissons. Or les oiseaux vivent avec le feu depuis bien plus longtemps qu’avec le pain. » Le chercheur insiste aussi sur la présence de trois espèces. Deux ont donc très vraisemblablement appris en observant la troisième.
Trois et peut-être plus. L’équipe de Bob Gosford entend poursuivre son travail en Australie. Des caméras devraient être distribuées aux rangers afin d’obtenir un premier enregistrement filmé. D’autres rapaces pourraient s’inviter dans la danse. Et les auteurs espèrent voir les chercheurs étrangers suivre des protocoles similaires. S’ils ne s’interrogent pas sur la façon dont les oiseaux auraient acquis cette compétence, les scientifiques rappellent que, selon la légende aborigène, ce sont eux qui auraient offert le feu aux hommes. Nos ancêtres ont-ils compris l’usage du feu en observant les rapaces ? « De telles croyances doivent être prises en considération », écrivent les chercheurs.
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photo Bob Gosford