« Mille Traces » Info et Marie Amiguet, sa réalisatrice, nous parle de « La panthère des neiges » et de la vie nature du Vercors

« À CEUX QUI RESTENT »

« Il y a quelques semaines, Jean-Marie Ouary, ce Morel de notre temps (le héros de Romain Gary dans Les racines du Ciel), m’a demandé d’écrire un édito pour motiver les troupes de Mille Traces. La jeunesse se planque, la motivation fond comme banquise au soleil, les associations peinent à mobiliser leurs bénévoles. Faut dire à l’heure où tout fout l’camp, où la planète s’aridifie, où les bêtes se terrent, on rame pour pisser quelques gouttes dans nos violons d’utopistes.

Devant l’irresponsabilité générale, on peut avoir envie d’être violent ou régler ses comptes soi-même (comme la héroïne de Lionel Daudet dans Très Haute Tension), on peut se sentir insignifiant, on peut avoir envie de baisser les bras, de disparaître sous terre (ou au ciel comme notre ami Alexis Nouailhat). Que pouvais-je avoir à dire de motivant ? Devant l’échec de la page grise et mon amertume galopante, j’ai cherché au fond de moi ce qui pouvait bien constituer la motivation inébranlable de «croire qu’il est toujours temps de faire quelque chose pour la Nature». Les mots sont usés jusqu’à la corde, ils voyagent de bouches honnêtes en bouches malhonnêtes et finissent par ne plus vouloir dire grand chose.

Ce virus qu’on ne nomme plus m’a poussée dans la brèche, je m’y suis engouffrée. Alors j’ai lu et j’ai dormi, j’ai regardé tomber la pluie, j’ai pris soin de ma vieille poule malade qui se fait une retraite dans la maison, j’ai planté mes semis. Je me suis autorisée à baisser les bras, accepté mon propre renoncement. Il faut de l’énergie pour passer à l’action, il en faut davantage pour structurer son être.

Nous entendons sans cesse qu’il est déjà trop tard, qu’il faut faire vite, qu’il faut agir ! Au contraire relâchons la pression… La seule approbation à attendre est celle qui vient du cœur. Le reste n’est que vain discours.
Apprenons à retrouver notre principale liberté : le temps. Le temps de penser. Penser dans notre monde, c’est déjà Agir. La pensée sème les graines de la conviction. De la conviction surgit l’Action. Il est impossible d’être sur tous les fronts. Faisons une chose à la fois. Peu mais bien, peu mais convaincu, peu avec un grand sourire. Peu c’est déjà énorme. Comme une minuscule graine qui parvient à glisser ses racines dans l’entrelacs de roches. Frêle en surface, tenace en profondeur.

A l’heure où j’écris ces lignes, une magnifique averse de pluie s’abat sur le jardin. Miracle bienfaiteur pour les forêts qui sèchent sur pied. Un merle sous ma fenêtre, loin de s’enfuir, chante en redoublant d’intensité. Je lui devine un sourire au coin du bec. Je repense aux

blaireautins que j’ai vus sortir de leur terrier hier soir, quatre petits nuages bondissants dans un silence moussu. Visions d’un monde en paix qui ne demande rien. Je respire déjà mieux. Oui, l’Homme est bête à bouffer du foin, tout est perdu et on est peu de choses là au milieu, avec nos idéaux de société plus juste collés aux tripes. Mais dans ce sac dans lequel on jette communément l’humanité, il y a d’innombrables hommes et femmes qui se passent le flambeau et entretiennent la flamme, d’une façon ou d’une autre, de générations en générations. Les uns dessinent, écrivent, photographient, chantent, créent des spectacles, les autres en appellent à la Justice, au combat des Droits et des Devoirs, d’autres encore éveillent les enfants, réparent les adultes, soignent le Vivant…

Notre combat pour le respect de la Vie sous toutes ses formes est un torrent qui gonfle de milliers de sources. Cela me rassure et m’apaise d’imaginer qu’en chacun de vous, il y a de cette détermination inébranlable puisée dans vos cœurs. Même si nous sommes une poignée au regard du rouleau compresseur général, même si cela semble perdu d’avance, battons-nous avec ceux qui restent… Pour ce qui reste (pluie, merle, blaireau…). Cela est une source intarissable de joie, d’humilité et de paix intérieure. Alors sur le parvis de la mort, nous nous en irons gaiement.

Merci à tous, vivants et morts de nous accompagner sur le chemin. Merci pour ton œuvre généreuse et drôle Alexis. Au dessus de mon bureau, une carte postale de toi envoyée par Mille Traces : une jeune fille souriante qui regarde passer une meute de loups à la lueur d’une aurore boréale. Restons soudés. »

Marie Amiguet, co-réalisatrice de « La panthère des neiges » avec Vincent Munier

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