Rappel des faits.
Fin juillet 2020, plusieurs représentants de la CGB (planteurs de betteraves), soutenus par des présidents de Région, interpellaient le ministère de l’Agriculture pour demander le retour des néonicotinoïdes et permettre, par dérogation, l’usage de ces insecticides en protection de semences afin de lutter contre la jaunisse, maladie induite par la présence de pucerons verts. Malgré la mobilisation de nos organisations [1] et le rejet[2]des citoyen.nes du retour de ces insecticides « tueurs d’abeilles », cette pression a abouti au vote début novembre au parlement; et malgré la mobilisation de parlementaires et de notre alerte auprès du Conseil constitutionnel[3] sur les dangers pour la biodiversité que signifiait ce retour, la loi a été promulguée le 14 décembre[4] .
Certaines de nos organisations ont à nouveau fait entendre leur voix à la fois lors de la consultation publique[5] portant sur l’arrêté d’application de la loi[6] et dans le cadre du comité de surveillance où siègent[7] certaines d’entre elles. Or, à l’heure actuelle, ces actions n’ont pas atteint l’objectif escompté: stopper le retour des néonicotinoïdes.
Ainsi, comme annoncé, nous avons souhaité, dès publication de cet arrêté d’application, engager des recours juridiques contre ce texte. C’est ce que nous faisons aujourd’hui, dans le cadre d’une procédure devant les tribunaux administratifs de Toulouse et Lyon.
Les recours.
Par le biais de nos conseils, Maîtres Baron et Lafforgue, nous déposons plusieurs recours pour demander l’annulation de cet arrêté : deux sur le fond et deux autres en référé suspension. Ces recours seront déposés devant les tribunaux administratifs où se trouvent les sièges sociaux des entreprises détentrices des produits commerciaux cités en Annexe de l’arrêté du 5 février 2021. Dans une introduction générale, nos organisations mettent en avant l’état critique des populations d’abeilles et des insectes en général, en Europe, et le fait que certaines matières actives sont plus particulièrement identifiées comme néfastes, tout particulièrement l’imidaclopride et le thiaméthoxam, mises en oeuvre dans ces enrobages de semences. Nous rappelons d’ailleurs que c’est sur la base de ces dangers pour la biodiversité que la France avait pris la décision d’interdire ces néonicotinoïdes, suivie en celà par l’UE.
Sur la forme, nos organisations critiquent l’absence de motivation de l’arrêté alors que l’article 53 du règlement n°1107/2009 prévoit que les dérogations ne peuvent être accordées par les États Membres que « dans des circonstances particulières ». Or, pour nous, l’arrêté ne donne aucune précision sur ces circonstances particulières qui justifieraient son édiction, en outre nous soulevons aussi que, sauf erreur – et alors que c’est obligatoire, la France n’aurait pas notifié cet arrêté à l’UE. De même, nous critiquons l’insuffisance de la procédure de consultation du public.
Sur le fond, nos organisations appuient leur demande de retrait de cet arrêté sur la base des obligations à remplir dans le cadre de l’article 53 du règlement 1107/2009. En effet, cet article permet le recours des dérogations à un usage contrôlé et limité, et à l’existence d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables. Or, nous démontrons que ces deux obligations ne sont pas remplies. A titre d’exemple, sur la question des usages contrôlés et limités, nous dénonçons une autorisation trop large, sans distinction selon les régions, alors même que la jaunisse n’a pas eu le même impact sur l’ensemble du territoire.
Quant aux mesures d’atténuation préconisées, présentées dans l’arrêté, elles sont très insuffisamment protectrices pour permettre de limiter les effets néfastes des néonicotinoïdes sur les pollinisateurs et plus généralement sur la biodiversité.
En effet, il est avéré que :
- l’exposition des abeilles à ces néonicotinoïdes sera, entre autres, générée par la flore spontanée et sauvage présente dans et en marge de la zone betteravière, ce qui représente un risque impossible à maîtriser
- l’implantation de ce type de semences engendrera une diminution des ressources alimentaires pour les pollinisateurs, liée à l’interdiction d’implanter des cultures mellifères dans les deux ans suivant le semis
- les néonicotinoïdes sont persistants dans les sols et rémanents dans les cultures suivantes. Or, à l’encontre de l’avis de l’Anses, l’arrêté autorise les semis de plantes mellifères (comme le colza) 2 ans après la culture de betterave. Mais, alors que ces insecticides peuvent se retrouver jusqu’à 5 ans après les semis, cette durée n’est pas suffisante pour limiter leurs impacts.
- le sol est une voie d’exposition de la biodiversité, voie d’exposition non prise en compte dans le cadre de cet arrêté,
- le texte fait l’impasse sur les effets induits par ces insecticides sur les oiseaux et autres mammifères sauvages ainsi que sur la pollution de l’eau et de l’environnement en général,
- l’arrêté ne prévoit aucun dispositif spécifique de contrôle renforcé,
- enfin, les pucerons ne sont pas les seuls responsables des baisses de rendements, les conditions climatiques et particulièrement la sécheresse sont également responsables de cette baisse. Or l’arrêté fait l’impasse sur ce fait.
Nos organisations pointent également la violation manifeste du principe de précaution ainsi que la violation de la directive 2009/128 concernant l’absence de mesures appropriées de gestion des risques privilégiant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à faible risque et des mesures de lutte biologique.
Conclusion
Pour toutes ces raisons développées dans nos requêtes, nos organisations demandent l’annulation de cet arrêté qui aura comme conséquence d’induire des effets néfastes pour la biodiversité en générale et pour les pollinisateurs en particulier. Alors que se discute en ce moment même le futur référendum voulu par Emmanuel Macron lui-même visant à garantir dans la Constitution « la préservation de la biodiversité et de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique », il parait tout à fait contradictoire – voire anachronique – de laisser revenir sur le marché ces substances très nocives. Nos ONG espèrent donc que la justice saura nous entendre sur ce point.