Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à répondre, lundi, aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, l’ex-ministre l’appelle à transformer en profondeur l’économie et taxe les alliances LREM-LR face aux écolos de «faute politique».
Président de la fondation qui porte son nom, Nicolas Hulot salue les travaux «robustes» de la Convention citoyenne pour le climat et fustige les adversaires des propositions qui ont été remises à l’exécutif le week-end dernier : «Ils sont souvent dans le déni et ne proposent rien.» Avant la réponse du Président, lundi, aux 150 tirés au sort, il demande à Emmanuel Macron de s’en saisir pour engager une «mutation profonde» de l’économie. Endossant à nouveau son costume de lanceur d’alerte inquiet, l’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire, qui a démissionné en août 2018, plaide pour tirer les enseignements de la crise sanitaire due au Covid-19, laquelle«devrait nous conforter dans une attitude d’humilité et d’audace». Et souhaite «un triomphe de l’écologie» dimanche, au second tour des municipales.
Les conclusions de la Convention citoyenne essuient de nombreuses critiques. Revient le refrain de l’«écologie punitive», notamment pour dénoncer la limitation à 110 km/h sur autoroute… Cela vous étonne ?
Non. Dès qu’on entre dans le dur de la mutation, des résistances s’expriment. C’est hélas attendu. Les membres de la convention se sont confrontés à la complexité des questions écologiques. Arrivés sans a priori ni dogmatisme, ils ont accompli un travail robuste et cohérent qui doit nous inspirer. Tout responsable politique qui se plierait à cet exercice parviendrait à la même évidence. Ceux qui critiquent ces conclusions sont souvent dans le déni et ne proposent rien. Maintenant, je ne voudrais pas que cette mesure clivante des 110 km/h fragilise et conditionne tout le reste. Aux politiques de prendre leurs responsabilités.
Emmanuel Macron doit répondre aux 150 citoyens, lundi. Qu’en attendez-vous ?
Il doit considérer ce travail comme une extraordinaire opportunité. Ces citoyens lui confient une sorte de mandat. Certaines mesures doivent être reprises dans le troisième projet de loi de finances rectificative [en débat en commission à l’Assemblée nationale cette semaine, ndlr], les autres dans les prochaines lois.
Faisons preuve de maturité collective : la crise sociale et écologique ne sera pas résolue sans une mutation profonde. Nous devons construire un nouveau paradigme, renoncer à certaines habitudes, les modérer et en développer d’autres. Il y aura quelques contraintes, mais elles sont sans commune mesure avec les privations de liberté et les souffrances qui nous attendent si on laisse le climat se dérégler et le vivant disparaître. Regardez les mégafeux qui ont ravagé l’Amazonie et l’Australie, les 38 degrés en Sibérie… Le monde se délite, quelque chose s’emballe et nous échappe. Je ne veux pas faire peur, mais moi, j’observe cela la trouille au ventre. Nous, les citoyens, devons accepter de changer. Camus disait : «Un homme, ça s’empêche…» Ce virus, qui a mis la planète à genoux et n’est qu’un avatar d’une crise bien plus profonde, devrait nous conforter dans une attitude à la fois d’humilité et d’audace.
La crise sanitaire a-t-elle éveillé les consciences ?
A ce stade, je ne suis sûr de rien. Des politiques de formations très différentes ou des acteurs économiques m’ont contacté pour me confier, parfois avec émotion, qu’ils venaient de réaliser combien nous sommes vulnérables, combien notre système est fou. Mais je vois aussi que d’autres voudraient repartir comme avant. Et je suis frappé par l’indigence des réactions des Etats européens face à la déforestation qui redouble d’intensité en Amazonie. On ne comprend toujours pas que détruire les forêts équatoriales, c’est ruiner nos chances de gagner la bataille climatique et de réduire l’émergence de nouvelles épidémies. L’Europe devrait sanctionner commercialement le Brésil et mettre un terme aux négociations entre l’UE et le Mercosur [communauté économique qui regroupe plusieurs pays d’Amérique du Sud]. Ce serait un signal fort.
Par ailleurs, pour faire jaillir ce nouveau modèle, il faut un minimum d’unité, or j’observe que la déliquescence de notre démocratie s’est encore accentuée, notamment la défiance croissante envers les institutions.
La convention propose un référendum pour pénaliser le crime d’écocide et modifier la Constitution. Nombre de juristes doutent de l’impact concret de ces mesures…
Je ne peux que soutenir la reconnaissance de l’écocide et son introduction dans le droit. Même si je ne suis pas en mesure d’arbitrer les subtilités juridiques, je laisse les spécialistes en débattre. Sur la Constitution, la formulation proposée (1) est importante. L’Etat doit être le garant de nos objectifs. Ces derniers doivent être crantés et irréversibles, ne serait-ce que pour nous prémunir des aléas électoraux. Réviser la Constitution créerait une contrainte forte : les politiques incohérentes avec la protection de l’environnement pourraient être contrées.
Ne vaudrait-il pas mieux appliquer la réglementation existante et y mettre les moyens financiers et humains ?
L’un n’empêche pas l’autre. Dans de nombreux domaines, il s’agit déjà de faire respecter notre arsenal juridique. On a souvent tendance en France à se débarrasser d’un problème en créant une loi ou en fixant des objectifs sans en assurer la mise en œuvre et le suivi. Des lois sont toujours en attente de leurs décrets d’application. Cela crée une illusion un temps, puis une désillusion quand on s’aperçoit que les choses n’ont pas changé, voire qu’elles ont empiré. Au lieu de baisser, le recours aux pesticides a explosé ! Et annoncer la fin du glyphosate, très bien. Encore faut-il l’inscrire dans une loi et s’en donner les moyens : identifier les impasses, évaluer les alternatives, les accompagner. Entre l’objectif déclaré et la situation actuelle, que s’est-il passé ? Pas grand-chose. C’est un travers inhérent à nos démocraties : nous sommes au niveau dans les intentions mais indigents dans les modalités.
La convention, créée pour répondre à la colère des gilets jaunes sur la taxe carbone, a évité ce sujet, que vous avez défendu dès 2007. Le regrettez-vous ?
Non, car le travail de la convention est un tout mais ça n’est pas «le» tout. Maintenant, à l’Etat de prendre sa part de responsabilités. Donner un prix au carbone reste un instrument incontournable, il faut poursuivre une trajectoire carbone en l’assortissant de ce que j’appelle un «coussin social» pour les ménages en difficulté. Mais au-delà, il faut une réforme profonde de la fiscalité, avec certains principes : remettre les revenus du capital à juste contribution et lutter contre l’évasion fiscale, assortir la fiscalité écologique d’incitations d’abord et, progressivement, d’une fiscalité dissuasive, pour structurer sans brutalité les modes de consommation et de production.
La convention n’a pas non plus abordé le nucléaire…
Cela n’empêchera pas le débat de reprendre, et j’ose espérer que la démonstration a été faite que cette énergie n’a plus d’avenir. Y compris sur un plan économique : c’est un puits sans fond. Regardez les déboires de la construction de l’EPR de Flamanville… Utiliser certains réacteurs existants pour sécuriser la transition énergétique, pourquoi pas, mais les énergies renouvelables, si l’on investit fortement dans leur développement, ouvrent un nouvel horizon.
Le deuxième réacteur de la centrale de Fessenheim doit être définitivement arrêté le 30 juin. Est-ce un tournant ?
Je n’en sais rien : il y a ce qu’on dit en façade et ce qui se prépare dans les bureaux d’EDF. Quand j’étais ministre, je découvrais que, dans mon dos, on était en train de préparer la planification de nouveaux EPR alors qu’on me prétendait le contraire. Je ne fais pas de procès d’intention, mais je crains toujours le pire.
Emmanuel Macron consulte pour préparer son discours de «l’après», censé donner un cap à la fin du quinquennat. Avez-vous échangé avec lui ?
On s’est parlé vingt minutes pendant le confinement. Je lui ai demandé de ne pas faire l’erreur de préparer le plan de «relance» dans l’antichambre de Bercy. Avec le «Pacte du pouvoir de vivre» [qui réunit 55 organisations, dont la fondation Nicolas Hulot, la CFDT ou la fondation Abbé-Pierre], nous demandons une conférence de transformation avec les parties prenantes, citoyens, ONG, syndicats.
Que devrait contenir ce plan ?
Faire un plan de relance à l’identique serait dramatique. Je préférerais l’appeler plan de résilience, de transformation ou de mutation. Ce que le gouvernement a entrepris pour éviter les pertes d’emplois, aider les commerçants ou les autoentrepreneurs, était nécessaire. Mais ce qui importe désormais, c’est l’argent qu’on va injecter sur le long terme. Puisque, en ce moment, on n’hésite pas à faire tourner la planche à billets, investissons chaque euro pour relancer l’économie mais en pariant sur la transition écologique et solidaire. On a l’occasion de faire les choses en grand. Il faut planifier, dans le bon sens du terme, en identifiant les secteurs à développer ou à transformer. Je pense notamment à l’agriculture, que le ministère de l’Ecologie, si l’on veut être cohérent, devrait à l’avenir chapeauter. Le marché du bio a une croissance à deux chiffres, avec des produits qui viennent souvent de loin car la production française ne suffit pas à satisfaire la demande. L’agriculture bio n’a pas été subventionnée comme celle dite conventionnelle. L’argent est mal distribué, mais ce n’est pas une fatalité. Idem pour les énergies renouvelables : si elles avaient été subventionnées autant que le nucléaire, elles auraient été compétitives plus vite.
D’autres secteurs, les plus carbonés, doivent réduire la voilure et être accompagnés dans leur transformation. L’aéronautique, évidemment, et le transport de marchandises : le temps des produits qui arrivent du bout du monde en vingt-quatre heures est révolu.
Dans certaines villes, comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg, LREM s’est alliée à la droite face à des listes écologistes. Le déplorez-vous ?
De mon point de vue, c’est une faute politique. La classe politique joue un jeu très dangereux en caricaturant l’écologie et en fustigeant les écologistes. Pourtant, la situation exige l’intelligence de tous. Je ne comprends pas que la droite républicaine soit encore engluée dans ses préjugés. Et les querelles de partis m’affligent.
Je souhaite un triomphe de l’écologie qui porte une approche intégrale et remette en cause un modèle néolibéral avec deux objectifs : la réduction des inégalités et la protection de la vie sur Terre. Certains, sans être chez EE-LV, ont fait leur conversion. Il ne faut pas les «cornériser». Je serais très heureux que des écologistes, quels qu’ils soient, arrivent au pouvoir dans des grandes villes, comme à Marseille ou à Lyon. Comme cela a été le cas pour Eric Piolle à Grenoble. Il faut rendre hommage à l’écologie et à ceux qui l’ont portée depuis longtemps, politiques ou associatifs. Ils ont été des lanceurs d’alerte. L’histoire leur donne cruellement raison.
(1) Il est question d’ajouter à l’article premier : «La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique.»
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photo: A Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine), mardi. Photo Fabrice Picard. Vu pour Libération