Les tirs d’élimination sont toujours privilégiés comme principal moyen de régulation. Mais tuer plus de bêtes suffit-il à faire baisser les attaques sur les troupeaux ? La recherche pourrait fournir d’autres solutions pour définir une politique durable de cohabitation avec ces canidés.
Le nouveau plan loup initié par le ministère de la Transition écologique voulait ménager la chèvre et le chou (acteurs agro-cynégétiques et acteurs environnementaux). Si la protection de l’espèce est réaffirmée au regard des engagements internationaux de la France, force est de constater que les choix de gestion d’accompagnement de la présence du loup en France consolident une politique critiquable donnant trop d’importance à des tirs d’élimination à l’éthique et l’efficacité contestables. Il est vrai qu’avec un budget de 26,3 millions d’euros et près de 11 800 animaux ayant fait l’objet d’une indemnisation en 2017, l’impact du canidé n’est pas anecdotique. Pour autant les pouvoirs publics doivent-ils avoir une politique digne des Tontons flingueurs : «Je ne dis pas que ce n’est pas injuste, je dis que ça soulage !»
La manière dont les tirs létaux de loups sont mis en œuvre pose plusieurs problèmes. Avec la systématisation de l’élimination de 10 % des effectifs de loups estimés – avec 40 à 43 loups ces deux dernières années, c’est déjà plus -, une logique de quota et non de plafond semble validée pour plaire aux acteurs agro-cynégétiques. Un plafond est un maximum non automatique et un quota, un objectif. Cela valide le fait que pour faire baisser la pression de prédation, il faudrait tuer plus de loups. Or, depuis la mise en œuvre des tirs, les dégâts sur troupeaux poursuivent leur croissance. Si d’aucuns disent que le braconnage en serait diminué, premièrement on ne le saura jamais, ce dernier étant caché, deuxièmement la violence est légitimée comme mode de gestion. Plusieurs études montrent aussi que si la prédation peut baisser localement un temps, la déstructuration de la meute résultante d’éliminations de loups reproducteurs peut, au contraire, reporter et amplifier la prédation ailleurs. Que dire de l’efficacité de l’élimination de deux louveteaux en Isère en septembre 2016 ? Si le droit d’élimination d’un loup en acte de prédation pourrait se comprendre de la part d’un berger, force est de constater qu’un loup mort est un animal qui n’a rien appris.
La mise en œuvre pose aussi question. Le plan se félicite d’un assouplissement de la gouvernance des décisions de tirs prises par les préfets. Déjà que ces derniers ordonnaient les tirs sans forcément respecter les procédures de déclenchement (mise en place des mesures de protection préalables, seuil d’attaques et de victimes domestiques), la nouvelle gouvernance des tirs va renforcer le pouvoir périphérique, à savoir le poids des élus locaux et des représentants agro-cynégétiques. En septembre 2015, des syndicalistes agricoles (FNSEA, Jeunes Agriculteurs) séquestrent le président, le directeur et un agent du Parc national de la Vanoise et exigent l’élimination de cinq loups en Savoie. Ils obtiennent, non pas cinq, mais six autorisations de tir du préfet, décision validée par Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie de l’époque. Aucune poursuite n’est engagée pour séquestration d’agents de l’Etat. Parallèlement, des syndicalistes CGT avaient séquestré deux directeurs de l’usine Goodyear d’Amiens Nord à l’annonce de la fermeture du site en 2014. Après des condamnations à des peines de prisons fermes, les syndicalistes ouvriers sont condamnés à jusqu’à 12 mois de prison avec sursis. Le deux poids, deux mesures pose question quant à notre Etat de droit.
Quelques avancées précaires semblent actées dans ce nouveau plan. Les mesures de protection sont présentées comme une priorité à renforcer et les indemnisations sont censées être conditionnées par la mise en place de la prévention. Les syndicats agricoles ont jugé cette clause de bon sens inadmissible et ne doutent pas que les préfets seront zélés à «assouplir le dispositif». Si l’évaluation du dispositif est aussi mise en avant, force est de constater que le soutien à la recherche est précaire. Des organismes techniques agricoles comme le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (Cerpam) sont légitimés pour des actions de conseils financées par les pouvoirs publics. Or le Cerpam, incarné par Laurent Garde notamment, profite de cette position pour décrédibiliser auprès des éleveurs toutes les mesures de protection et encourage les professionnels à ne demander que l’élimination des loups. Pourtant, des initiatives constructives comme celles de l’Institut pour la promotion et la recherche sur les animaux de protection des troupeaux (Ipra) et de l’équipe de Jean-Marc Landry ne sont que trop peu aidées alors qu’elles visent à mettre au point des mesures de défense innovantes en partenariat avec les éleveurs.
Que dire de la recherche en sciences humaines et sociales, pourtant la clé de la compréhension des enjeux et donc de l’action, qui manque cruellement pour aider à la définition d’une politique durable de cohabitation avec les loups ? Le bilan de ce plan est donc contrasté et pourtant, il a été obtenu avec Nicolas Hulot, officiellement un des ministres les plus importants du gouvernement. C’est dire à quel point ce dossier est politique et géopolitique.
Par Farid Benhamou, géographe, chercheur associé au laboratoire ruralités de l’université de Poitiers
photo : Dans le parc national du Mercantour, en novembre 2012. (Photo Valery Hache. AFP)